Le vendredi 27 septembre, Chantal Anglade et Georges Salines sont venus dans la salle d’audience écouter la déposition de Simon, qui a laissé à la barre une plume en référence à la pesée des âmes dans le Livre des Anciens Egyptiens.
Le verdict a été rendu le 03 octobre. Quelques dix jours plus tard, Simon est mort. Son âme est la plus douce et la plus légère plume qui soit, et nos cœurs sont lourds.
La pensée de Simon ne nous a pas quittés au cours de cette année scolaire, que nous avons clôturée le lundi 02 juin 2025, au cours d’une soirée à laquelle l’AfVT a convié témoins, professeurs, quelques lycéens, partenaires.
Arnaud Lançon, Nabiha Mérabet, Michel Catalano, Sophie Davieau-Pousset, Chantal Anglade et Marie-Ghislaine ont pris la parole.
Arnaud, frère de Philippe Lançon, a connu Simon à l’hôpital en 2015, et l’a retrouvé en classe avec l’AfVT :
Arnaud Lançon : Frère du frère de sang
Simon et mon frère Philippe ont été victimes de l’attentat du 07/01/2015 dans les locaux de Charlie Hebdo.
Très grièvement blessés, ils sont restés de longs mois aux Invalides.
Voisins de chambre, compagnons de souffrance, ils se désignaient Frères de sang.
J’ai revu Simon en 2019.
Mélanie et moi témoignions dans un lycée pour l’AfVT.
Simon était venu écouter.
Il a parlé.
Avec force,
Avec impertinence,
Avec humour,
Avec son franc-parler qui parfois pouvait déranger.
Il a parlé de la liberté d’expression.
De ses combats.
Pour la première fois d’une longue série.
Simon était une voix forte de l’AfVT.
Il nous manque. Il nous manquera.
Nabiha Mérabet, la sœur d’Ahmed que les terroristes ont abattu sur le boulevard Richard Lenoir le 07 janvier 2015, en sortant de la rédaction de Charlie Hebdo, avait tissé des liens fraternels avec lui.
Nabiha Mérabet : Ceux qu’il laisse
Quelle tristesse ! Simon est parti bien trop tôt. Je suis heureuse d’avoir partagé avec lui une partie de sa vie.
Je garde de Simon son humour, sa gentillesse et ses coups de gueule. Il n’avait pas sa langue dans sa poche.
Son absence et son départ laissent un vide immense.
Ses qualités et sa mémoire resteront à jamais gravés dans mon cœur. Il restera de Simon ce qu’il a donné. C’était une personne extraordinaire.
Je pense à ceux qu’il laisse et qui pensent à lui (Maisie, Lucy et sa famille), aux autres aussi, dont je fais partie ainsi qu’à toutes les victimes du terrorisme. Actuelles et passées.
Michel Catalano, ex-otage de ceux qui avaient tiré sur Simon, le rencontrait à chaque procès, et avec nous dans les classes.
Michel Catalano : Toi, qui t’apaisait ?
Simon,
La première fois que je t’ai vu, tu m’as souri. Un sourire simple, sincère, mais qui a tout changé. Rien que cela m’a apaisé, comme si, d’un regard, tu avais le don de calmer les tempêtes intérieures des autres. Tu avais cette lumière rare, celle de ceux qui portent les douleurs des autres en silence, tout en cachant les leurs derrière un éclat de rire ou une petite blague bien placée.
Mais derrière ton humour et ton intelligence brillait une peine profonde, une douleur que même les groupes de parole, même les interventions en classe, n’ont jamais réussi à éteindre. Tu donnais tant aux autres, Simon, mais toi, qui t’apaisait ?
Ton départ laisse un vide immense. Ton intelligence vive, ton humour percutant, ta capacité à voir ce que les autres ne voient pas vont terriblement nous manquer. On ne remplace jamais quelqu’un comme toi. Tu étais unique, et tu le resteras.
Mais ton sourire, lui, ne nous quittera jamais. Il est gravé en nous, comme un dernier éclat de lumière dans nos mémoires. Et à chaque fois que l’on sourira à notre tour, peut-être qu’un peu de toi vivra encore dans ce geste.
Merci, Simon. Pour tout.
C’est au lycée Lucie Aubrac de Courbevoie, et dans les classes de Sophie, professeure d’Histoire et Géographie, que Simon est venu le plus souvent. Il dialoguait avec des lycéens, quelquefois incisifs (à propos de Charlie Hebdo : « Pourquoi continuez-vous ? Cela ne vous a pas suffi ? »).
Sophie Davieau Pousset : L’ami debout
Simon venait dans mes classes, silhouette fine, pas tout à fait stable, mais profondément droite. Avec sa béquille, il tenait debout.
Avant tout, c’était son regard que les élèves captaient : espiègle, rieur, lumineux, d’une douceur profonde. Il parlait peu de lui. Et pourtant, dès qu’il s’exprimait, quelque chose se passait. Il faisait entendre une voix sensible, une pensée fine, libre, toujours sur le fil. Pudique, mais jamais retenue. Drôle et toujours juste. Une parole qui tenait debout.
Il avait ce don rare de conjuguer la gentillesse à l’intelligence, la douceur à une forme de radicalité tranquille. Il était incisif, mais jamais blessant. Il avait le sens de la répartie, l’art de retourner une phrase avec élégance. Son humour si décapant n’était pas une échappatoire : c’était une manière pour lui, de regarder le réel en face et de lui répondre. Simon riait debout.
Aux élèves, il transmettait cela : la capacité de faire face, de sublimer, de transformer la violence en parole, en pensée, en dessin, parfois en silence. Il ne venait pas pour raconter sa souffrance, mais pour ouvrir des fenêtres. Il incarnait une parole libre, digne, habitée. Il parlait vrai, il parlait debout.
Ce qu’il apportait aux élèves, c’était bien plus qu’un témoignage. Il leur donnait une boussole. Il leur montrait que le courage ne fait pas de bruit, que le combat peut prendre la forme d’un mot bien choisi, d’un sourire, d’un dessin. Il leur apprenait qu’on peut sublimer le pire — par l’humour, par la pensée, par la transmission. Il leur transmettait l’idée que penser et rire est une forme de résistance. Il leur parlait de sa vie, parfois, mais surtout de la leur — de ce qu’ils avaient entre les mains, et de ce qu’ils pouvaient en faire. Peur qu’eux aussi restent debout.
Il disait que Charlie, c’était comme ces canaris des mineurs : le premier à s’effondrer quand l’air devient irrespirable. Une alerte. Une sentinelle. Avec lui, les élèves comprenaient que la liberté d’expression, c’est l’oxygène d’une société. Et que lorsqu’elle manque, tout vacille. Et que c’est elle qui tient debout.
Simon était d’un éclat contagieux, d’une sincérité folle. Il allait au front sans posture. Il incarnait ce qu’il disait. C’était un ami précieux, Et ce qu’il était, dans toute sa sensibilité, nous manque. Il nous oblige. A nous aussi de rester debout.
Et de projet en projet, les discussions entre nous allaient vagabonder aussi du côté de notre conception personnelle de la vie, des relations, de notre place dans la société. C’était des petits-déjeuners et des chats sur les genoux :
Chantal Anglade : Simon et Simon
En toute sincérité, parler de Simon m’est difficile par excès de chagrin, par excès d’amour et par excès de reconnaissance.
Mais je veux dire que de tous les témoins dans les classes, il a été le seul que les élèves n’épargnaient pas et qu’il était amené à expliquer sans cesse la différence entre un coup de crayon et un coup de kalachnikov et à justifier sa survie.
Et de tous mes amis, il a été l’un de ceux qui me bousculaient le plus, avec tendresse souvent mais sans concession. Chez Simon, il y a deux chats noirs identiques qui s’appellent Dupont et Dupond. L’un cherche la caresse et se blottit contre vous, l’autre, en réplique du premier, passe au loin, ne se laisse pas approcher, disparait. Simon et Simon.
Pour un vaste projet éducatif intitulé La Galerie des Objets, Simon s’était entretenu en février 2022 avec Marie-Ghislaine, lycéenne de Première, âgée de 16 ans. Face à face, la fine délicatesse de Marie-Ghislaine et la présence juvénile de Simon ont créé un instant de grâce – Marie-Ghislaine avançait timidement, présentant cette Une des survivants Tout est pardonné que son père gardait précieusement à la maison mais qu’elle ne comprenait pas à Simon qui ajoutait des questions aux siennes ; Simon abordait la douleur, le temps, la vie, le pardon avec des circonvolutions qui nous emportaient du côté de la transcendance.
Voici ce que dit Marie-Ghislaine, aujourd’hui étudiante en deuxième année de Droit :
Marie-Ghislaine : Merci Simon Fieschi
Très intimidée, je m’en souviens, j’étais assez impressionnée. Cela doit se voir que je n’étais pas tout à fait à mon aise. Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Très intriguée par la béquille, mille questions fourmillaient dans ma tête. Je m’assois face à cet homme frêle, plus petit que moi. Que j’avais en fait déjà rencontré, lors d’une sortie à l’École du Louvre. Je souris timidement derrière mon masque, que je n’ai pas le souvenir d’avoir enlevé une seule fois. Le covid a dû donner une ambiance particulière à cet échange.
Je me souviens avoir été très à l’écoute, tout le long. Lui aussi, mais je parlais moins. Peut-être que certaines questions sont restées en suspens, mais je sais que j’ai beaucoup appris ce jour-là. J’ai le souvenir d’un homme drôle, gentil, attentif, très vif aussi. Marqué par un passé qui lui a fait voir la vie autrement. Une vie qu’il a réappris à vivre, accompagné de cet objet si particulier, la béquille. Ce symbole de la perte, qui est devenu celui de la violence, oui, mais sans effacer le miracle qui en a résulté. On a beaucoup parlé, ce jour-là. Plus que ce que j’aurai pu penser. De ce rapport à la mort, à la blessure, au deuil, à la survie, à la douleur, à la haine, à la fatalité, à l’espérance, et au pardon. Du dessin, de l’art, et de la liberté d’expression que l’on ne doit pas laisser mourir.
Photo @SEb Lascoux
À la fin, une invitation à échanger, à rester en contact. Une main tendue et une adresse mail donnée. Cette rencontre m’a particulièrement marquée. Et pourtant, je n’y ai pas donné suite. Aujourd’hui encore, je ne saurai dire pourquoi. Par peur peut-être, mais peur de quoi ? De pousser la réflexion sur des sujets sur lesquels je ne me pensais peut-être pas assez légitime pour y apporter des réponses ? Cette question-là aussi restera à jamais en suspens.
J’ai compris que c’était trop tard lorsque, de la même manière que j’avais appris le décès de M. Sandler, qu’avait rencontré Irène, j’ai appris ce soir d’octobre 2024, le décès de M. Simon Fieschi. Je m’en suis voulu, de ne pas avoir écrit.
Alors aujourd’hui, je voudrais avant tout lui dire merci pour tout ce qu’il a partagé avec la jeune lycéenne de 16 ans que j’étais. Je crois que c’est le genre de moment qui marque à vie. Merci de vous être relevé, et d’avoir voulu transmettre à la nouvelle génération, d’être venu à la rencontre d’autres jeunes comme moi. Merci pour votre humilité et votre simplicité. Merci pour votre abnégation, votre courage et la force de vos mots. Pour beaucoup d’autres choses que je ne saurais exprimer, merci Simon Fieschi.
Nous voulons croire que l’énergie de Simon ne nous quitte pas.
Simon for ever.
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La vocation de l’Association française des Victimes du Terrorisme est d’agir au plus près des victimes du terrorisme pour accompagner leur travail de guérison, de reconnaissance, de vérité, de deuil et de mémoire tout en soutenant la lutte contre la banalisation de la violence et la barbarie.