Classes en audience : et si on écoutait la « génération Paty » ?

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par Chantal Anglade

 

Tous les prénoms des élèves ont été modifiés.

 

Le procès de l’assassinat du professeur Samuel Paty s’est tenu devant la cour spécialement composée du 4 novembre au 20 décembre 2024.

Comme tout procès, celui de l’assassinat du professeur Samuel Paty, reconstitue, pièce après pièce, un puzzle. Un puzzle dont la pièce centrale est une rumeur, née du mensonge d’une collégienne de 4è et alimentée par deux vidéos devenues vite virales montées et diffusées par des adultes, le père de la collégienne et un agitateur islamiste venu lui prêter main forte jusque dans le bureau de la principale du collège.

A ce puzzle, peut-être manque-t-il une pièce aux couleurs grises : celle qu’auraient dû y apporter les collégiens du Bois d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, tous témoins, souvent acteurs, souvent aussi victimes impactées par la violence de l’attentat. En 2020, ce collège scolarisait environ 750 élèves.

Les collégiens – à l’exception de Z qui a menti, de M qui a reçu et partagé l’argent donné par le terroriste et de J qui a désigné le professeur – n’ont pas été entendus. Leurs voix doivent-elles restées inaudibles ?

Le projet « Classes en audience » tente de continuer d’entendre ces voix. Pendant quatre ans, nous avions au Collège du Bois d’Aulne, écouté les élèves : leur ignorance obstinée des faits, leurs souvenirs douloureux – en particulier leurs traumatismes liés à la diffusion sur les réseaux sociaux de la photo de leur professeur décapité -, leur conflit de solidarité avec des camarades impliqués, leurs silences.

Sept classes de Terminale de six lycées franciliens ont été préparées à assister à sept demi-journées d’audience et ont pu dialoguer avec des victimes de terrorisme. Parmi elles, nous comptons deux classes du lycée Jules Ferry de Conflans-Sainte-Honorine dans lesquelles sont scolarisés quelques anciens élèves du collège du Bois d’Aulne.

Ces quelques 200 lycéens de Terminale étaient, comme Z et M, en 4è en 2020. C’est pourquoi nous leur avons demandé si nous pouvions les considérer comme « la Génération Paty ».

 

Génération Paty ?

 

Pour quelques lycéens, l’assassinat de Samuel Paty à lui seul n’a pas réussi à marquer durablement les esprits de leur génération. En effet, leur génération est dès l’enfance plongée dans le terrorisme, et serait davantage la Génération Attentats.

D’autres estiment en revanche qu’il existe une « génération Paty » marquée aussi par les attentats du XXIème siècle notamment ceux de Charlie Hebdo, du 13 novembre ou encore de Nice. « La génération Paty c’est nous » : « ça aurait pu être nous », de même que le collège du Bois d’Aulne, « ça aurait pu être le nôtre », affirment par exemple Sonia et Solène.

Mais, pense Laura, « La génération Paty, c’est comme la génération Charlie pour les plus âgés : c’est un concept qui ne touche que ceux qui y réfléchissent. ». Elle reconnaît ne pas y avoir réfléchi avant notre projet.

C’est exagéré pour Clara qui se souvient qu’à 13 ans sa génération ne pouvait poser sur cet attentat une réflexion « en profondeur » et elle refuse que soit confiée uniquement à sa génération la recherche d’une solution contre le terrorisme dirigé contre un professeur car c’est l’affaire de tous.

Tous : nous, adultes, professeurs engagés et profondément meurtris par les assassinats de Samuel Paty en 2023 et de Dominique Bernard en 2026, et eux, lycéens, nous faisons face dans les salles de classes, lieux d’enseignement, où nous apportons des connaissances, des documents et créons les conditions d’une réflexion.

 

Réflexion lycéenne

 

Alice affirme : « Ce projet nous a permis d’approfondir nos connaissances qui étaient assez superficielles sur le sujet. C’était très enrichissant, chercher toutes les informations nous a permis de développer notre esprit critique et de synthèse ».  Deux autres expliquent avoir acquis de la maturité et être plus sensibles à la responsabilité individuelle et collective.

Solène aussi s’étonne d’avoir tant appris alors qu’elle croyait tout savoir sur cette affaire, tandis que Sophie est surprise de se sentir concernée désormais. Elle affirme comprendre le prix de « la liberté de penser ». Marine aussi croyait bien connaître certains attentats, et constate mieux connaître le contexte et voir l’existence des victimes.

Noémie est encore plus précise : elle a « pris du recul » et aborder l’attentat contre Samuel Paty « m’a énormément éveillée et sensibilisée sur ce sujet, écrit-elle. Je me suis retrouvée à me questionner sur le sujet, à en parler en dehors des cours avec mes proches et à faire mes propres recherches personnelles ».

 

Écouter les podcasts des élèves du lycée Hélène Boucher de Paris

 

En audience

 

Anna utilise l’expression « vivre » un procès, et devient capable de verbaliser que l’enseignement forme « les citoyens français de demain » et tous les autres se réjouissent d’observer la manière avec laquelle s’exerce la Justice et de pouvoir suivre les débats et de comprendre finement le contexte.

 

Elève du lycée Paul Langevin de Suresnes répondant aux questions de Florence Sturm pour France-Culture

 

Pourtant Laura et Alice affirment : « Après ce procès, nous nous sentons encore plus perdues qu’avant » car les différentes dépositions à la barre ont ébranlé leurs convictions sur la culpabilité de Boudaoud, par exemple. Elles notent combien « discerner le vrai du faux » et juger sont des exercices difficiles. Elles auraient aimé assister aux délibérations, au procès des mineurs.

Les élèves du lycée Jules Ferry de Conflans-Sainte-Honorine ont quelquefois une perception plus personnelle :  Deborah dit combien grâce au procès, elle a eu une « prise de conscience » des causes et des conséquences et a été renvoyée vers les événements passés qu’elle n’aurait pas pu comprendre seule.

Tiphaine réfléchit à l’acte de tuer, et se réjouit d’être accompagnée ; en salle d’audience, elle admire un spectacle, une « chorégraphie », cependant peu compréhensible. Elle prend conscience de la peine qu’est pour elle l’attentat, que le temps n’a pas atténuée : seul l’ « ancrage dans la réalité du procès » la réconforte et lui permettra de comprendre plus tard les témoignages d’Isabelle Bernard et Aurélie Silvestre. Elle parle de « pertinence inouïe ».

Ces lycéens ont assisté le jeudi 28 novembre à la déposition de la fille aînée de Brahim Chnina : Zoé note combien cette dernière accable la jeune Z pour dédouaner son père. En revanche, Charlotte est troublée par cette grande sœur qui était une élève brillante – cela n’a pas empêché que la famille Chnina ait « basculé ».

 

Rumeur de couloir et désignation du professeur Samuel Paty en échange d’argent 

 

C’est à force de répéter la rumeur que les adolescents l’ont crue ; Z n’a pas été suffisamment démentie par les camarades de sa classe ; les adolescents ont naturellement cru Brahim Chnina et Abdelhakim Séfrioui, figures d’autorité selon les lycéens, car ils n’ont pas imaginé que des adultes se trompent.

Pour Clara, l’identification au groupe l’a emporté sur la capacité à réfléchir, a permis de s’affranchir avec joie des règles scolaires, et les vidéos des adultes les ont confortés dans leur attitude. Elle distingue raison et émotions et estime que l’appât du gain a motivé les collégiens qui ont désigné le professeur. Aurélie utilise le pronom « nous » : « nous étions jeunes, insouciants ». Face à une rumeur, jeunesse, insouciance et ignorance l’emportent sur la recherche de vérité. Maud invente l’expression « rumeur de couloir », et estime que le désir ne pas se sentir seul l’emporte sur la recherche de vérité.

Selon Aurore, la collégienne Z bénéficiait de la confiance de ses camarades qui ont soutenu ses propos car elle « jouait la victime et l’innocente » ; une même confiance est accordée aux adultes que sont Brahim Chnina et Abdelhakim Séfrioui, qui eux aussi se posaient comme victimes. De cette empathie pour ces victimes supposées est même née une colère contre Samuel Paty. En revanche Aurore ne peut pas imaginer que les adolescents ayant désigné le professeur n’aient pas été naïfs : ils n’ont pu savoir ou imaginé les conséquences et donc l’assassinat.

 

Les élèves du lycée Sophie Germain avec Maître Pascale Edwige dans la Story de Mohamed Bouhafsi dans le C’est à vous du 27 novembre

 

Pour Vera aussi, l’inversion des rôles (auto-victimisation de ceux qui propagent des mensonges) a très bien fonctionnée, et ceux qui ont désigné Samuel Paty l’ont fait aussi par peur. Cependant, l’échange d’argent est bizarre et l’aurait, elle, alertée.

Nathalie et Violette pensent que plus le mensonge est gros, plus il est crédible, et les élèves de cet âge « aiment les ragots ». Elles envisagent des dénis : croire à une énormité pour ceux qui propagent la rumeur, accepter de l’argent facile pour les garçons ayant désigné Samuel Paty en se cachant la réalité d’un contexte qu’ils connaissent bien. Nathalie reprend le terme de « déni » et envisage donc bien que les adolescents aient compris les intentions de l’assassin, se soient voilé la face et aient estimé qu’eux ne participaient pas à la violence.

Emilie se met à la place des collégiens et écrit : « J’espère que je ne l’aurais pas fait » ; elle précise que l’argent l’aurait mise en garde, mais sans proposition d’argent, elle pense qu’elle l’aurait fait. Evan et Pénélope affirment aussi qu’en 3è, ils auraient désigné le professeur si on ne leur avait pas proposé d’argent. En revanche, Angèle déclare que si on lui avait proposé de l’argent, elle aurait eu peur et se serait adressé aux adultes – le médiateur de son collège, puis ses parents.

Solène exprime une solidarité générationnelle – « il y a la naïveté, l’immaturité des enfants, qu’on ne peut pas tellement leur reprocher (on avait le même âge qu’eux ou presque, à un an ou deux près) », et elle ajoute « je ne pense pas qu’on puisse les blâmer pour ça ». Pourtant, elle remarque que 300€ est une somme importante – donc convaincante ? Marie-France ajoute que l’effet de groupe voile le discernement.

Encore une fois, les réponses des élèves du lycée Jules Ferry de Conflans-Sainte-Honorine peuvent être plus concrètes :

Les élèves ont cru la rumeur par solidarité collégienne avec Z et par naïveté et esprit de commérage. La rumeur est d’autant plus efficace qu’elle est simpliste (tandis que le cours de Samuel Paty était complexe), et la diffusion de la rumeur a remis en question et rendue discutable la liberté d’expression, qui était admise spontanément auparavant. Pierre explique : « même si ce qui est raconté est grossier pour être vrai, le sensationnalisme de ce qui est raconté nous plaît naturellement puis nous convainc sans preuve ».

Aurélien dit que le jeune âge des garçons acceptant de l’argent ne saurait expliquer leur attitude et « serait un cruel manque de discernement de la part des protagonistes ».

Raphaëlle, quant à elle, « ne pense pas que tous les collégiens ont cru à la rumeur : certains d’entre nous ne disaient rien ou ne s’opposaient pas, par peur d’être également visés par des accusations de racisme ou d’islamophobie et d’être mis à l’écart ». Elle note par ailleurs combien le sujet des caricatures est sensible et considéré « comme quelque chose d’islamophobe ou de christianophobe » : c’est par hostilité aux caricatures que Brahim Chnina et Abdelhakim Séfrioui ont tourné les vidéos pour obtenir l’adhésion « d’une partie radicale de la communauté musulmane ».

Sylvain affirme que certains collégiens n’ont pas cru la rumeur « car ils connaissaient les faits réels, se méfiaient des rumeurs ou appréciaient leur professeur ». Franck est plus précis : « Personnellement, étant un ancien élève de Samuel Paty, de l’année qui précède son assassinat, j’ai directement voulu savoir ce qui s’était réellement passé dans ce fameux cours. J’ai directement demandé à plusieurs personnes, mais chacune avait une version différente, je n’arrivais même plus à discerner qui avait été dans le cours. Tout était flou, entre les discours et la réalité. Le professeur a été plus dénigré qu’autre chose, mais moi, je n’y croyais pas », Z « était facile à croire » et l’un des garçons qui a reçu l’argent la croyait.

Eléonore ajoute que les collégiens de 3e la croyait et « n’ont pas hésité en voyant de l’argent, pour désigner le professeur qui pour eux était coupable. ».

Axel s’étonne que les collégiens n’aient pas cherché à vérifier les éléments que contenaient la rumeur colportée par Z et les vidéos, et elle cherche à comprendre ; il propose une hypothèse : « Peut-être que le mensonge est plus facile à croire que la réalité » et « à force d’être répété, ce mensonge est devenu une réalité au sein du collège, la version officielle pour tous les élèves de l’établissement. ».

Il ajoute : « Quant à ceux qui ont désigné Samuel Paty au tueur, j’aimerais naïvement croire à de l’inconscience, à une erreur de jeunesse. Car je ne peux imaginer que des collégiens aient fait cela par appât du gain, ou sachant que l’individu allait frapper le professeur. Je sais pertinemment que ce n’est pas la bonne version, mais croire à un acte délibéré parfaitement volontaire, c’est perdre toute confiance et toute foi en l’humanité. Mais force est de constater que cette affaire a montré la face noire des hommes. ». Pierre estime que ces élèves auraient dû être alertés du danger par la somme d’argent et Axel que la proposition du terroriste leur a donné « un sentiment de puissance et de contrôle ».

 

Peut-on éviter que ça se reproduise ?

 

L’un d’eux répond : « En tant qu’élève, on n’est pas très actif, on subit un peu les cours, l’école. Faire un projet, aller dans une salle d’audience, suivre toutes les positions des victimes et des accusés, ça permet de se sentir actifs et de prendre conscience qu’on peut arrêter ce genre de rumeur », puis demande : « dans quelle société voulons-nous vivre ? Quel monde voulons-nous préparer ? Tout cela passe par une réflexion active, par des actions concrètes, par une vraie prise en main de nos destins. »

Pour Noémie, « La notion et perception de la laïcité ainsi que de l’Islam et leurs dérives doivent être des sujets moins tabous » en classe avec les professeurs ; pour Marco aussi la nécessité d’être accompagné est soulignée car un élève « ne peut à lui seul mener de démarche pour lutter contre le terrorisme ».

C’est notre démarche éducative même qu’encouragent Elsa et Lola : « Créer des projets comme celui-ci pour rappeler et mettre en avant ce qu’il s’est passé afin d’être préventif pour les générations futures », tandis qu’Anna ajoute qu’est nécessaire aussi une prévention en direction des parents et des élèves, notamment en ce qui concerne les mensonges, origine toujours possible d’un engrenage.

Sonia constate que l’élève seul n’a pas le pouvoir d’agir contre le terrorisme, c’est un rôle qui revient aux autorités, tandis que Clara et Maud estiment qu’on ne peut pas avoir d’influence sur les autres, mais qu’individuellement on doit cultiver son esprit critique.

 

Le témoignage des victimes

 

Élèves du lycée Jean-Baptiste Corot dialoguant avec les témoins Nabiha Mérabet et Aurélia Gilbert

 

L’ensemble de lycéens est sensible à l’incarnation des attentats que sont les témoins dans leur classe, ils manifestent de l’empathie, se trouvent face à l’évidence que le terrorisme est « une réalité ». Les victimes sont des personnes ordinaires à laquelle les élèves d’identifient ; la société s’intéresse aux faits et aux coupables plutôt qu’aux victimes ; Marine exprime de l’empathie (« comprendre leur douleur et entendre leur témoignage ») et distingue « entendre parler » et « voir et ressentir », tandis que Simon distingue entre « point de vue extérieur » et « aperçu interne du terrorisme ».

Les lycéens font une distinction essentielle entre le fait de connaître les attentats et leurs contextes et le fait de tisser un lien avec les témoins et recevoir grâce à ce lien une transmission : c’est ainsi que Aurore évoque à la fois l’apprentissage (« apprendre », « concrètement », « point de vue extérieur ») et le cheminement personnel (comprendre la douleur d’un « point de vue intérieur »). Solène explique accéder à une connaissance à la fois plus profonde et plus personnelle : « connaître l’affaire un peu plus intimement, un peu plus sentimentalement et un peu plus humainement aussi », écrit-elle ; Bob à son tour distingue une « vision nouvelle », qui lui « permet de voir les faits de l’intérieur et non pas simplement en tant qu’observateur tiers. ». Aurélien constate la différence entre témoignages à la télévision et « échange direct avec les témoins », qui abolit la distance. Alixe du lycée Jean-Baptiste Corot estime avoir pu « affronter la réalité des choses » : elle distingue ainsi la rencontre et le dialogue en classe d’une connaissance venant des médias, et dit qu’elle en est enrichie et bouleversée.

Juliette, parce qu’elle a « pris conscience » des conséquences subies par les victimes, souligne l’importance de la prévention : « Cela permet de mieux comprendre la réalité du terrorisme et de prendre du recul face aux discours de haine et aux manipulations qui circulent sur les réseaux sociaux », explique-t-elle.

 

Nicolas Hénin s’entretient avec les élèves du lycée Lucie Aubrac de Courbevoie au palais de Justice lors de la suspension méridienne du procès des geôliers de DAESH

 

Nathalie et Violette notent leurs habitudes, leur lassitude de voir des images sensationnelles, et leur intérêt au contraire à écouter et rencontrer des victimes ; non seulement cela les sensibilise davantage mais cela leur enlève le sentiment de l’horreur : « c’était touchant et c’était beau aussi, enfin c’était bien, de pouvoir discuter avec elles »

Angèle du lycée Paul Langevin évoque « le prisme des victimes » et utilise les mots d’ « humanité et empathie » qu’elle oppose à une forme d’indifférence (événements « lointains ») et à la pitié.

Les élèves du lycée Jules Ferry, qui, pour certains, ont été des collégiens du Bois d’Aulne, ont participé à d’autres projets de l’AfVT les années précédentes :

Gregory affirme que la rencontre lui a offert « un retour plus distancé et analytique sur l’assassinat », car auparavant il n’avait pas eu de « réflexion poussée ». Il ajoute que la rencontre a été « enrichissante à la fois humainement et psychologiquement, dans la mesure où elle m’a permis de revenir attentivement sur l’ensemble de l’affaire, et d’établir une vision plus claire à son propos ».

Raphaëlle n’hésite pas à évoquer son expérience intime d’adolescente impactée par l’assassinat du professeur Paty, ses questions, sa solitude, sa douleur et son cheminement : « En tant qu’ancienne élève du Bois d’Aulne, nous avions déjà pu échanger avec des victimes du terrorisme et cela m’a permis d’aller mieux en me montrant que nous n’étions pas seuls. La rencontre de cette année m’a fait ressentir la même chose. Durant cet échange, j’avais l’impression d’être moins seule et plus comprise : en effet, durant mon entrée au lycée, j’avais remarqué que les autres lycéens qui venaient d’autres collèges n’avaient pas le même lien avec l’attentat de M. Paty que nous et cela m’a fait ressentir une certaine solitude. Mais avec cet échange, je ne me sentais plus seule et je comprenais les deux réactions très contrastées des victimes : l’un essayait de comprendre tandis que l’autre victime ne voulait pas comprendre et semblait toujours sous le choc. Durant cet échange, je me suis reconnue, particulièrement quand une des victimes disait qu’elle avait du mal à aller au collège après et que, après le drame, son équipe pédagogique formait une famille. Cet échange fût très riche et inoubliable, il m’a permis d’avancer. »

L’expression de Franck est à la fois un peu maladroite et très touchante, il dit que depuis l’assassinat du professeur Samuel Paty, il a « rencontré beaucoup de victimes de terrorisme, et c’est une grande chance, je remercie pour cela l’AFVT » ; il dit combien l’attentat l’a perturbé : « Parfois je pense avoir raté des choses telles que des contrôles, puis je repense à la chance que j’ai et ça va mieux. ». Eléonore aussi dit que c’est une « chance » d’avoir pu échanger avec Isabelle Bernard. Angèle est admiratif de la sagesse et du refus de répondre à la violence par la violence d’Isabelle Bernard et d’Aurélie Silvestre.

 

De dos, Isabelle Bernard et Aurélie Sylvestre, parlent avec les élèves du lycée Jules Ferry de Conflans-Sainte-Honorine

 

Je crois que les messages sont passés.

 

Alors, Génération Paty or not Génération Paty ?

 

J’ai été quelquefois offensive avec ces lycéens, ils m’ont trouvée accusatrice et injuste : ils avaient raison. D’une part, je laissais entendre, avec une multitude de détours alambiqués, qu’ils étaient une génération bien peu scrupuleuse, d’autre part j’attendais d’eux les explications que je trépignais de ne pas avoir.

Cela dit, j’ai obtenu quelques réponses et je leur en suis très reconnaissante. Ils conviennent avec moi qu’ils sont la génération qui a vu le terrorisme entrer dans le sanctuaire qu’était encore l’École pour leurs professeurs, mais ils en sont moins impactés que ces derniers. Eux ont grandi avec le terrorisme, l’École est leur société, il n’est donc pas si étonnant pour eux qu’elle ait été la cible du phénomène terroriste.

Pourtant, si le terrorisme leur est familier, ils avouent aussi qu’il leur est relativement méconnu, et c’est bien le projet mis en place avec eux cette année qui les a amenés à développer leurs connaissances sur le sujet et leur esprit critique. Car oui, au collège, l’esprit critique n’est pas éveillé et on croit aux rumeurs ; on sort du Covid en 2020 et on a pris l’habitude d’exister et de communiquer sur les réseaux sociaux ; oui, on suit les groupes sans réfléchir et on trouve de l’exaltation à propager des « rumeurs de couloir », qu’on y croit ou qu’on n’y croit pas d’ailleurs, peu importe ! surtout s’il s’agit de prendre le parti d’une supposée victime d’injustice ; oui, on est tenté par l’argent.

Ainsi sont-ils très nombreux se souvenir qu’à 13 ou 14 ans, ils étaient capables de colporter une rumeur, tout en sachant confusément qu’elle pouvait être fausse, mais qu’ils ne pouvaient pas imaginer que des adultes de leur entourage puissent divulguer un mensonge. Dans le questionnement central de la désignation du professeur Paty à la vindicte, ils réfléchissent très honnêtement et rapportent les effets positifs du cheminement accompli : « Je ne sais pas ce que j’aurais fait, maintenant je sais que je ne le ferai pas »,

C’est toujours la vie qui l’emporte : procès vivant – oral, on le sait, manifeste, comme au théâtre, on le voit – et dialogue avec des victimes d’attentat dans leur classe qui leur a permis de quitter une extériorité de façade et d’accéder à leur intériorité : avec ce travail mené dans les six lycées, nous avons assisté à une véritable prise de conscience.

Sans fard, ils ont pu ainsi retrouver le lien avec des adultes dignes de confiance ; au procès, ils ont entendu l’expression de la démocratie ; et dans l’espace de la classe, ils se sont étonnés d’être les défenseurs de la liberté d’expression et de respect des principes républicains, de l’esprit critique, de la prévention.

Pour nous toutes et tous, enseignants et C.P.E., ce chemin essoufflant au début, aux respirations profondes ensuite, a construit une passerelle au-dessus du précipice qu’avait creusé l’assassinat de notre collègue Samuel Paty entre nous et nos élèves. Nous avons la certitude d’avoir développé des connaissances et de l’empathie, et plus important encore, nous avons mis des mots sur le lien entre professeurs et élèves et l’avons restauré.

 

 

 

Lire l’article de Sylvie Lecherbonnier dans Le Monde du 18/12/2025,  De « Charlie » au procès Paty, des lycéens face aux attentats : « On a grandi avec le terrorisme sans forcément tout comprendre »

 

 

MERCI

 

Aux élèves et à leurs professeurs et C.P.E. :

aux élèves de DGEMC et à leur professeure Sophie DAVIEAU POUSSET du lycée Lucie Aubrac de Courbevoie

aux élèves de DGEMC et à leur professeure Blandine VELAYANDON du lycée Paul Langevin de Suresnes

aux élèves de DGEMC et à leur professeur Nathanaël LE HOUEDEC du lycée Sophie Germain de Paris

aux élèves de DGEMC et à leur professeure Laure DOUSSOT du lycée Hélène Boucher de Paris

aux élèves de DGEMC, à leurs C.P.E. Marianne LE FUSTEC et Véronique ELEDUT et à leur professeur Hugo DRAPIER du lycée Jean-Baptiste Corot de Savigny-sur-Orge

aux élèves des deux classes HGGSP et à leurs professeures Claude CELLOT et Sandrine ERNST du lycée Jules Ferry de Conflans-Sainte-Honorine

Aux témoins dans les sept classes : Isabelle BERNARD, Catherine BERTRAND, Charlotte BRÉ, Aurélia GILBERT, Nicolas HÉNIN, Danièle KLEIN, Stéphanie LEGRAND, Claire LOYAU, Nabiha MERABET, Nadia MONDEGUER, Georges SALINES, Aurélie SILVESTRE, Marie TOYER

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Les CAF 75, 92 et 78

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