« Je veux témoigner et par ces témoignages, insuffler une graine qui je l’espère fleurira. » (Michel Catalano)

AfVT20min0
BFHNTSBPT4IBJ45UUCFK4OYAIU.jpg

Etienne Cardiles prend la parole lors de la cérémonie d’hommage national rendu à son compagnon assassiné Xavier Jugelé

 

Le 20 avril 2017, le policier Xavier Jugelé est assassiné sur les Champs-Elysées par le terroriste Karim Cheurfi. Le 25 avril 2017, son compagnon, Etienne Cardiles déclare lors d’une cérémonie d’hommage national à la préfecture de police de Paris : « Derrière le policier, il y avait l’homme, et on ne devient policier ou gendarme que par choix. Le choix d’aider les autres, de protéger la société et de lutter contre les injustices. Cette mission noble, que la police et la gendarmerie assurent, et qui sont régulièrement mises à mal. » Ce sont ces valeurs et son héritage qu’entendent aujourd’hui défendre la nouvelle génération des professionnels de la sécurité. C’est en tout cas l’espoir et l’objectif que porte le Lycée professionnel du Vexin à Chars, spécialisé dans les métiers de la sécurité et de la prévention. Sa promotion Xavier Jugelé, composé de deux classes de terminales professionnelles des métiers de la sécurité porte sur l’uniforme une rondache en mémoire au policier tué. Ce sont ces deux classes qui ont participé au projet « Et si on écoutait les victimes ? Et si on écoutait les lycéens ? » de l’Association française des Victimes du Terrorisme en avril dernier. L’occasion pour les élèves de dialoguer avec des victimes du terrorisme, d’en apprendre davantage sur les processus de radicalisation et la réponse de la justice tout en déconstruisant l’imaginaire du cow-boy que partage certains élèves. Un moment parfait pour rappeler que la vie n’est pas un western au contact de Nabiha Merabet et Michel Catalano, tous deux victimes des attentats de janvier 2015.

 

Par Martin CLAVEL, étudiant en Licence 3 au CELSA Sorbonne Université, parcours Le Magistère.

 

Des cow-boys face au terrorisme ?

 

Lundi 7 avril 2025. La sonnerie retentit. La salle de classe du lycée professionnel des métiers de la sécurité du Vexin est prête à recevoir les deux classes de la promotion Xavier Jugelé. Avant de rentrer, ils se rangent deux par deux. L’un des élèves leur fait face. C’est le moment du garde-à-vous, puis l’entrée dans la salle de classe. Chacun porte l’uniforme sur lequel est apposé la rondache au nom de Xavier Jugelé. Ils sont nombreux à se souvenir du policier assassiné sur les Champs-Elysées. Certains portent son héritage et souhaitent devenir policiers, d’autres pompiers ou gendarmes. Quelques-uns enfin veulent rejoindre les unités d’élite comme le GIGN, le RAID ou la BRI. Et ils s’y connaissent : aucun de ces sigles ne leur est étranger. Mais connaissent-ils vraiment la réalité de tels métiers, au-delà du sensationnalisme des interventions armées qui cartonne sur les réseaux sociaux et à la télévision ? Comment, face à ces images, déconstruire les imaginaires pour établir un dialogue critique et réflexif ? C’est là tout l’intérêt de l’Association française des Victimes du Terrorisme ; celui de briser les écrans pour opposer un autre discours que ceux des réseaux sociaux et des médias.

 

Rondache que porte chacun des élèves sur son uniforme, en hommage à Xavier Jugelé

 

Avant la rencontre avec Nabiha Merabet et Michel Catalano, un premier temps d’échange documenté permet de faire le point sur leur connaissance des attentats de janvier 2015, et sur le rôle qu’ont joué les primo intervenants les 7, 8 et 9 janvier de cette même année. Agés de 7 à 9 ans au moment des faits, ils se souviennent des images de l’assaut de l’hypercacher ou de l’imprimerie de Michel Catalano à Dammartin-en-Goële. Certains se rappellent la participation de leurs proches lors de la grande marche organisée à Paris le 11 janvier 2015, plus important rassemblement de l’histoire moderne du pays : cette volonté de ne pas oublier, de ne pas plier face au terrorisme, d’avancer ensemble dans la résilience et la persévérance en réaffirmant les valeurs fondamentales de notre démocratie face au terrorisme, et en se levant par la parole contre les armes. N’est-ce pas cela aussi les valeurs que doivent partager les professionnels de la sécurité : le calme, la tempérance, le contrôle face à l’hubris et à la violence ?

 

C’est ce calme et ce refus de la haine qu’ont décidé d’arborer Nabiha Merabet et Michel Catalano. Tous deux ont cru en la justice et ont préféré une réponse démocratique à la haine et à la vengeance. Le 7 janvier 2015, Nabiha Merabet perdait son frère Ahmed Merabet, assassiné par les terroristes responsables de la tuerie de Charlie Hebdo. Le 9 janvier, ces deux terroristes trouvaient dernier refuge dans l’imprimerie de Michel Catalano ; des heures hors du temps pendant lesquelles l’imprimeur de Dammartin-en-Goële va parler avec les terroristes, leur servir un café et même les soigner à la suite d’un premier échange armé avec les forces spéciales.

 

La rencontre entre les élèves de la promotion Xavier Jugelé et ces deux témoins est prévue le 9 avril. Et déjà la sonnerie retentit. Les élèves, un à un, quitte la salle, direction le réfectoire pour se restaurer. Qu’elle aura été bénéfique cette préparation pour mieux comprendre les devoirs et valeurs des professionnels de la sécurité, l’importance aussi de leur présence et de leur permanence.

 

Michel Catalano dans son imprimerie. Sur le mur du fond, on peut lire l’inscription suivante : « Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve »

 

 

« Evidemment, ça me replonge dans cette période. Dix ans après, ça ravive des souvenirs difficiles. »

 

Mercredi 9 avril 2025, l’Association française des Victimes du Terrorisme est de retour à Chars, cette fois-ci accompagnée par Nabiha Merabet et Michel Catalano. Tous deux vont témoigner devant les deux classes de terminales professionnelles de la promotion Xavier Jugelé.

 

A nouveau le garde-à-vous avant de pénétrer dans le CDI. Là, chaque élève s’installe pour former un cercle avec les deux témoins. C’est Nabiha qui la première prend la parole.

 

Elle raconte minutieusement sa journée du 7 janvier 2015. Elle se souvient de la télévision allumée, en bruit de fond. Elle voit les images de l’attentat commis contre la rédaction de Charlie Hebdo, puis la fuite des terroristes et l’assassinat sur leur passage de Ahmed Merabet, son frère.

 

« J’ai allumé la télé en bruit de fond. J’ai vu mon frère se faire assassiner sans savoir que c’était lui. J’ai vu les images. »

 

Mais la réalité finit par la rattraper quand elle reçoit un appel de Malek, son autre frère : « Hocine* est mort. » Puis l’appel du préfet et l’annonce de la mort d’Ahmed à sa mère.

*Surnom de Ahmed Merabet.

 

« Je n’ai pas pu lui dire qu’il était mort. Je n’arrivais pas à prononcer le mot mort. Hocine… c’est fini ».

 

Devant les élèves, elle raconte le vide de la perte, l’attente liée à l’enquête et empêchant tout contact avec le corps de Hocine, l’attitude condescendantes et irrespectueuse des journalistes et de certains de ses collègues, l’impression d’un deuil volé, mais aussi le réconfort apporté par les proches, famille, amis et inconnus.

 

« C’est compliqué d’avancer, de retrouver une vie pseudo normale, car on ne retrouve pas une vie normale, jamais. La vie, à reconstruire, c’est très difficile. »

 

Avec une pointe d’émotion, elle se souvient du pavillon que venait d’acheter Hocine, des bouteilles retrouvées après sa mort et qui devaient servir pour la crémaillère. Elle termine sur une note plus réjouissante :

 

« Désormais, tous les week-ends, on se retrouve chez maman. On habite tous autour d’elle ; moi juste en face. Les autres sont à dix minutes en voiture. Cela a renforcé nos liens entre frères et sœurs et avec maman. »

 

Nabiha Merabet lors de son témoignage

 

C’est ensuite au tour de Michel Catalano de prendre la parole. Imprimeur à Dammartin-en-Goële, c’est dans son entreprise que les deux terroristes responsables de la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo et de l’assassinat de Ahmed Merabet vont se réfugier le 9 janvier 2015 au matin.

 

« Le matin, je suis tout seul donc je mets la radio. J’aime bien, c’est un moment de calme. J’ai une journée très chargée. Le 9 janvier, mon collaborateur était arrivé plus tôt. C’était joyeux. On plaisantait. On sonne à la porte. Ça doit être Didier. J’entends le cliquetis de la porte. J’entends la porte s’ouvrir, mais personne ne vient. Je vois deux personnes en noir. C’est bizarre. Qu’est-ce que font les gendarmes ici ? Un lance-roquette. Une kalachnikov. Je comprends. Je lui dis : ils sont là. Son visage blanchit tout de suite. Une angoisse. Moi, sur son visage, je voyais une peur animale, la peur de mourir. Ça vous glace le sang ».

 

Alors il faut réagir vite et garder son calme. Rapidement, une idée émerge dans l’esprit de Michel Catalano : temporiser avec les deux terroristes et sauver son employé.

 

« Ca va très vite. On est dans une situation difficile. Je lui dis : cache toi et coupe ton portable. Mon corps se met dans une position de mission. Ce que je veux, c’est juste les ralentir pour lui laisser le temps de se cacher. »

 

Pendant plusieurs heures, Il va tenir compagnie aux deux terroristes, les soigner et leur servir un café. Son collaborateur est toujours caché. Seul et à l’abri des terroristes, son téléphone en silencieux, il envoie des messages indiquant sa localisation et l’état de sa situation à ses parents afin d’aider les forces armées dans l’assaut qui se prépare. Les deux terroristes, eux, en viennent à expliquer leurs motivations, leur allégeance à Al-Qaïda au Yémen, leur volonté de tuer le plus de monde.

 

« A l’intérieur de moi, ça bouillait. Mais je reste calme, je me maîtrise, parce que je sais une chose : il faut rester clame. J’étais extrêmement calme. Aujourd’hui, mon cœur bat plus vite en vous parlant ».

 

Et puis vient le moment de l’assaut : Michel Catalano s’échappe de l’imprimerie, les forces spéciales tuent les deux terroristes, le collaborateur caché sort sain et sauf de l’imprimerie.

 

« Je suis rentré chez moi à deux heures du matin. C’était très difficile. Et tout de suite en sortant, j’ai eu un choc post-traumatique. Je tremblais. Je ne dormais plus. Je n’arrivais plus à parler. Comment se reconstruire derrière tout ça ? Dix ans après, je continue à témoigner pour montrer que c’était très difficile. »

 

Silence et vive émotion dans l’assemblé. Les élèves comprennent le poids du deuil et l’importance des métiers auxquels ils se destinent. Intéressés, ils posent plusieurs questions, sur la réaction héroïque de Michel Catalano, son sang-froid face aux terroristes et sa capacité à garder bonne maîtrise de soi, qualités essentielles pour ces futurs professionnels de la sécurité. Ils s’intéressent aussi à l’après, à la reconstruction, à la vie qui reprend. Nabiha Merabet tempère : « De toute façon, on ne se rétablit jamais vraiment. » L’échange se conclut sur les réponses apportées par l’Etat, notamment en terme pécunier. Une nouvelle fois, la sœur de Ahmed Merabet prend la parole : « De toute façon, ce n’est pas l’argent qui va ramener mon frère. »

 

Et déjà la sonnerie annonçant la pause méridienne retentit. A Michel Catalano de conclure :

 

« Si on peut, à moindre mesure, faire quelque chose. Je me demande toujours, qu’est-ce qu’on a raté. Pourquoi et comment les deux terroristes en face de moi voulaient mourir ou me tuer ? De cette interrogation, il faut que j’en fasse quelque chose. Moi je crois en la jeunesse et en l’avenir. Je ne veux pas influencer les gens, je veux témoigner et par ces témoignages, leur insuffler une graine qui j’espère fleurira. Peut-être que tout cela fait passer un message, pour un monde meilleur. Je suis crédible, j’ai vécu quelque chose d’horrible mais je vais de l’avant. Alors pourquoi pas vous ? Je dors encore mal la nuit, je me réveille toutes les deux heures, mais j’avance, petit à petit, pas à pas. Et aujourd’hui, devant vous, je suis heureux. »

 

Pour aller plus loin :

Laissez un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *


A propos de l’AFVT

La vocation de l’Association française des Victimes du Terrorisme est d’agir au plus près des victimes du terrorisme pour accompagner leur travail de guérison, de reconnaissance, de vérité, de deuil et de mémoire tout en soutenant la lutte contre la banalisation de la violence et la barbarie.


NOUS CONTACTER

NOUS APPELER au +33 1 41 05 00 10