L’amitié : à la vie, à la mort !

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C’est au lycée professionnel du Vexin de Chars que nous rencontrons de très jeunes élèves qui composent une « classe engagée ». Ces élèves préparent un CAP pour devenir agents de sécurité : ils seront amenés à donner l’alerte et à rassurer en cas de danger.  Entre eux, Mélanie et SEb, tous deux survivants d’attentats, et ces lycéens, il y a une valeur commune : l’amitié.

 

Par Talita SOARES, étudiante en M2 à la Sorbonne Université.

 

Rencontre entre témoins et élèves de CAP de la sécurité : apprendre, comprendre, transmettre

 

Dix ans se sont écoulés depuis l’attentat de Paris et seize ans depuis celui du Caire, et les cicatrices restent aussi douloureuses. Un point en commun : un groupe de personnes qui ont profité de la vie avec des amis jusqu’à ce que tout bascule. Comment expliquer l’inexplicable ? Comment aider les jeunes à comprendre ce qu’est le terrorisme, sans céder à la peur ni sombrer dans le silence ? C’est dans ce contexte que le 10 avril 2025, l’Association française des Victimes du Terrorisme a rencontré une classe discrète mais avec une grande sensibilité, huit élèves de 1ère CAP « Agents de sécurité », qui ont reçu un témoignage profond et humain. Mélanie Berthouloux et SEb Lascoux sont venus partager leur histoire, leur douleur, mais aussi leur reconstruction.

Parler du terrorisme n’est pas facile, cela demande une préparation pédagogique, une écoute et une volonté commune d’aller au-delà de la peur pour apprendre, comprendre, transmettre. Pour une génération saturée d’images violentes, de raccourcis idéologiques et d’informations anxiogènes, former de futurs professionnels de la sécurité implique bien plus que leur transmettre des gestes techniques. Il s’agit aussi de forger leur empathie.

Sous la direction de Morgane POUSSARD, enseignante de sécurité, et de Pauline GISCLARD, enseignante d’EPS (éducation physique et sportive) et professeure principale et sous la direction d’Eléa DESMOTS, enseignante documentaliste, les élèves ont mené un travail de fond avant la rencontre. Ils ont questionné la nature du terrorisme, ses causes, ses formes, ses impacts humains et sociaux. Ils ont réfléchi à leur propre rôle futur face à la violence et à la peur. Puis, ils ont écouté deux voix, celles de Mélanie Berthouloux et SEb Lascoux, survivants de deux attentats différents, unis par le choc, le deuil de ses amis… mais aussi par une volonté commune de transmettre.

 

Des futurs agents de sécurité, policiers et gendarmes

 

Loin d’être de simples spectateurs, ces jeunes élèves de CAP nous ont accueillis avec des exposés et ont exprimé leur désir de comprendre comment agir face à ces actes d’horreur. Pour eux, la sécurité est un engagement quotidien : faire face à la panique, protéger les autres, rassurer ceux qui en ont besoin. Ils ont compris que leur futur métier les placera peut-être, un jour, en première ligne.

Au-delà de leur futur métier, ces jeunes d’une classe engagée, notamment à travers des ateliers animés auprès de personnes âgées. C’est donc avec beaucoup de respect et d’attention qu’ils ont accueilli Mélanie et SEb, dans un moment de partage de leurs histoires d’amitié et perte.

 

Des histoires marquées par la perte et la transmission

 

Mélanie : « J’ai surtout été blessée moralement. Le plus compliqué a été le décès de ma meilleure amie »

 

C’était censé être une colonie de vacances inoubliable. En 2009, Mélanie, 17 ans, élève au lycée Léonard de Vinci à Levallois-Perret, embarque pour l’Égypte avec sa meilleure amie Cécile. Le programme est dense : pyramides de Gizeh, promenade à dos de dromadaire, balade dans le souk. Ils sont 54 lycéens accompagnés par sept adultes. Les jeunes sont contents et profitent de leurs moments ensemble.

 

Photo de la classe

 

Quelques secondes suffisent. Une bombe explose à proximité et ils sont projetés au sol. Dans le chaos assourdissant, Mélanie voit soudain « quelque chose d’oranger ». Elle est à terre, persuadée qu’elle va mourir. Puis, dans un moment de lucidité, elle tourne la tête et voit Cécile, allongée, immobile. Cécile ne reprendra jamais conscience. Mélanie est gravement blessée, le visage en sang, les tympans endommagés. Elle est hospitalisée deux jours dans un hôpital local avant d’être rapatriée par un avion volant à basse altitude, pour limiter la pression sur ses tympans.

Mais ce n’est que le début.

Le vrai traumatisme commence après. De retour et hospitalisée à l’hôpital Beaujon de Clichy, Mélanie subit une première intervention chirurgicale. Elle quitte l’hôpital le jour même de l’enterrement de Cécile. Une journée irréelle, où la douleur physique se mêle à une tristesse difficile à exprimer.

« J’ai surtout été blessée moralement. Le plus compliqué a été le décès de ma meilleure amie. »

Dans les mois qui suivent Mélanie décroche son bac de justesse. Elle avait le projet de devenir infirmière, mais finit par abandonner cette voie. Elle entre alors dans une longue période de reconstruction.

Il faudra du temps pour que Mélanie commence un travail thérapeutique avec une psychologue. Elle réapprend à sortir, à réintégrer une vie « normale ». C’est une reconstruction à petits pas, entre les souvenirs envahissants, la culpabilité du survivant et les questions sans réponse. Elle parvient à retrouver un équilibre affectif : elle rencontre le compagnon, avec lequel elle aura une fille. Aujourd’hui, elle est assistante administrative et commerciale.

Puis vient le besoin de transmission. Quinze ans plus tard, elle ressent le besoin de faire quelque chose. C’est donc pour cette raison que Mélanie décide, avec trois autres victimes de l’attentat du Caire et le soutien de l’AfVT, de retourner en Égypte. Un geste symbolique, lourd d’émotions. Ensemble, ils rendent visite à l’hôpital qui leur a dispensé les premiers soins, retrouvent même des infirmières qui se souviennent d’eux, et déposent une plaque commémorative, en hommage à Cécile Vannier et en remerciement aux soignants qui les avaient aidés le soir de l’attentat. « On a terminé quelque chose », dit-elle.

 

Célébration de la pose de la plaque commémorative au Caire, organisée par des victimes de l’attentat avec le soutien de l’AfVT

 

Cécile reste une présence constante pour sa famille et amis. Levallois-Perret, leur ville d’origine, a donné son nom à plusieurs lieux en sa mémoire. Mélanie, quant à elle, continue d’en parler pour honorer son amie et surtout pour préparer les jeunes à ce que la vie ne prépare jamais : le choc, la perte et la force d’y survivre.

 

SEb Lascoux : « Comme si je hurlais en silence »

 

En 2015, SEb avait 36 ans. Il travaillait dans une radio musicale à Paris. Passionné de musique depuis ses 17 ans, il avait l’habitude d’assister à des concerts. Le 13 novembre, il invite son ami Chris au concert des Eagles of Death Metal au Bataclan. Chris propose à une amie, Sophie, de se joindre à eux. Chris est devant SEb et Sophie est devant Chris, ils assistent au concert « du plus grand au plus petit ».

L’ambiance est légère : Chris lui offre une bière en plaisantant « c’est cool, un concert contre deux bières, je suis gagnant », mais très vite tout bascule. Des bruits éclatent, comme des pétards. Tout se passe très vite. Les lumières se rallument, la musique se coupe, le groupe quitte la scène. SEb comprend à ce moment que quelqu’un tire.

« Un mouvement de foule part sur la gauche, puis vers la droite. »

SEb discute avec les élèves de la classe CAP lors de la rencontre

 

Il attrape quelqu’un, pensant que c’est Chris, et chute au sol avec d’autres. Il entend : « C’est la faute de Hollande ! Pour nos frères en Syrie ! Le premier qui bouge, je tue ! » Il glisse le long du mur et reste allongé. Il réalise alors qu’ils (les terroristes) sont trois. Il a l’impression que la scène dure des heures. Mais lors du procès, il apprendra que c’était en réalité beaucoup plus court.

L’odeur de poudre, de sang, est gravée dans sa mémoire. Il accepte alors l’idée de mourir. Mais quand il perçoit deux terroristes à l’étage, il tente de coup : il se lève, enjambe les corps, avance vers la sortie. Il arrive à l’entrée et là il voit un homme en noir avec un fusil, « je me suis dit : je suis foutu. » Mais en réalité, c’était un policier.

SEb sort du Bataclan, tente d’envoyer un message à Chris : « Dis-moi que tu es sorti. » Il cherche refuge et suit un groupe dans un petit appartement où une quarantaine des personnes se réfugient.

Les pompiers arrivent pour évacuer les blessés. Seb est pris en charge, ainsi que deux filles et un garçon. L’un des garçons a perdu sa sœur dans ses bras.

Les secours font un premier état des blessures pour prioriser les soins. Seb ne s’est même pas encore regardé. Il remarque qu’il est couvert de sang… mais ce n’est pas le sien Ils sont ensuite transportés à l’hôpital Georges Pompidou. Il s’assoit à côté d’une fille, que pose sa tête sur son épaule, c’est Louise, 15 ans.

Finalement, c’est sa sœur qui l’appelle : Chris est décédé sur place. La semaine suivante, il retrouve Sophie à l’IML et fait ses adieux à Chris. Les 15 jours suivants l’attentat, SEb ne dort quasiment pas, et le chemin sera long.

Long chemin de reconstruction. Suivi psychologique hebdomadaire, kiné, état de vigilance constant. Peu à peu, grâce au lien tissé avec Louise, à la parole partagée, SEb reprend pied. Pour lui aussi, témoigner c’est faire vivre la mémoire de Chris et offrir aux jeunes un moment de réflexion.

 

Amitié, mémoire et transmission

 

Les élèves n’ont pas hésité à poser des questions directes, parfois bouleversantes : « Est-ce que vous avez peur de sortir en public ? », « Que feriez-vous si vous étiez face à un terroriste ? », « Est-ce que vous voyez les parents de vos amis disparus ? », « Si tu avais pu prendre sa place, l’aurais-tu fait ? ». Et les réponses ont toujours été sincères.

« Le terrorisme nous concerne tous » : avec ce message les élèves ont compris l’importance de leur avenir professionnel qui les conduira à assurer la sécurité des autres. L’action a aussi renforcé un lien profond entre les élèves et les victimes : celui de l’amitié, cette valeur essentielle qui accompagne les moments de joie, de tristesse, de réussite et d’échec. Une amitié fidèle dans la vie et dans la mort.

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La vocation de l’Association française des Victimes du Terrorisme est d’agir au plus près des victimes du terrorisme pour accompagner leur travail de guérison, de reconnaissance, de vérité, de deuil et de mémoire tout en soutenant la lutte contre la banalisation de la violence et la barbarie.


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