Plaidoirie de Maître Antoine CASUBOLO FERRO au procès de l’attentat du marché de Noël de Strasbourg

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Madame La Présidente,

Mesdames, Messieurs de la Cour

Les 8, 9 et 11 mars derniers, vous avez entendu, écouté les victimes de cet attentat, du Marché de Noël de Strasbourg, le 11 décembre 2018.

Trois jours difficiles, quand ces gens sont venus vous dire comment, d’un coup, d’une seconde à l’autre, leur monde s’est effondré, comment ils ont basculé dans l’horreur, comment cet attentat, tel un tsunami, les a emportés, hors du monde, dans lequel ils vivaient jusqu’alors.

Quoiqu’il leur soit arrivé, individuellement, ce soir-là, tous ces gens qui déambulaient dans les rues du Marché de Noël, à Strasbourg, qu’ils aient été physiquement blessés ou pas et leurs familles, qu’elles aient été présentes ou pas, sont tous aujourd’hui des victimes de cet attentat.

C’est ce qu’est venu vous dire à la barre, mardi dernier, le Dr MASTELLI, médecin psychiatre qui dirige la Cellule d’urgence médico-psychologique du Bas-Rhin :

« La distinction, entre victime directe et indirecte, peut bien être une distinction juridique, mais elle n’existe pas en médecine. Dans tous les cas, directement ou par ricochet, être victime d’un attentat, c’est faire l’expérience psychique de la mort.

Chaque témoignage, chaque souffrance déposée ici, à cette barre, s’assemblent les uns aux autres ; depuis l’instant même où ils ont vu le bras se lever lentement, l’arme faire feu, entendu les premiers coups, ont été pris dans la panique ou sont restés figés, sidérés ; dès l’instant où ils ont décroché leur téléphone, ont appris la terrible nouvelle, comme la fiancée d’Antonio ou la maman de Bolek, tous ont décrit la raison d’être, voire ont écrit les statuts même de l’Association française des Victimes du Terrorisme que j’ai l’honneur d’assister et de représenter:

Dès les premiers instants et aussi longtemps que nécessaire, avec les moyens dont elle dispose, c’est-à-dire une permanence, un ou deux stagiaires et une flopée de bénévoles, l’AfVT, en effet, apporte une assistance morale, administrative, juridique, médicale, mémorielle aux victimes d’attentats ou à leurs familles, quelle que soit la nationalité de la victime, lorsque l’attentat est commis en France, quel que soit le lieu de l’attentat à l’étranger, lorsque la victime est un ressortissant français.

Ce sont des victimes d’attentats qui ont créé l’AfVT, en 2009. [Victimes de l’attentat du DC 10 abattu au-dessus du Ténéré en 1989, victimes de la bombe déposée sous un banc au Caire, qui a tué Cécile Vannier en 2009],

Non pas pour en faire un club. Non pas pour se raconter leur malheur.  Mais parce qu’ils savaient par où passeraient ceux qui seraient un jour, hélas, mais sûrement, victimes comme eux d’un attentat terroriste. Mais pour venir en aide à tous ceux qui, comme eux, auraient un jour à subir le triste parcours qui s’impose à chaque victime dès le moment même où se produit l’attentat. [Pour se rendre UTILE si j’ose dire, ici, après l’usage qu’il a été fait de ce mot]

Parce qu’il y a l’attentat… mais après l’attentat, il y a le combat. C’est le mot même qu’a prononcé Monsieur François T, à cette barre, pour décrire sa vie depuis qu’il s’est relevé, miraculé, malgré les coups de couteau reçus de l’accusé.

Il vous a dit la difficulté de vivre, de survivre, d’être encore vivant quand d’autres sont morts, là, juste à côté d’eux. À côté de lui.

« Vivant, oui, il l’est », vous a dit Monsieur T. « Mais ailleurs, mais mort à l’intérieur ».

Et mort-vivant, il vous a dit aussi, la « jungle des formalités », le millefeuille des institutions, des organismes censés prendre en charge les victimes. Et ils le font très bien ! Mais il en faut des papiers, des formulaires et des bons, qu’il faut savoir remplir sans se tromper !

Alors, l’AfVT, elle est là et elle est là pour ça.

Mais elle est là, aussi, aux côtés des victimes, lors des commémorations. Quand la société avance et passe à autre chose, le rôle de l’association, c’est de dire aux victimes, pour lesquelles il est impossible de passer à autre chose, qu’on ne les oublie pas pour autant, qu’on n’oublie pas leurs proches pour autant.

Elle est là encore, à chaque nouvel attentat, parce que c’est dans ces moments-là, cruels, que les plaies se ravivent.

Elle est là, toujours, à chaque procès en se constituant partie civile, pour porter leur voix.

Aux portes du palais, au premier jour de chaque procès, des membres de l’AfVT sont là pour accueillir ceux qui arrivent un peu perdus, de Strasbourg, de Nice ou d’ailleurs. Et tous les jours, autant que faire se peut, il y a sur ces bancs un membre de l’AfVT. Et demain, après le procès, quand un grand vide se fera pour ceux qui sont venus souvent, voire tous les jours, comme Mostapha, assis au premier rang, il pourra compter sur l’AfVT si besoin.

 

Et s’il le désire, s’il le peut, il pourra aider d’autres victimes qui viendront à leur tour sur ces bancs à mieux se préparer à ce qu’elles vont endurer. Ou encore, prendre une part active en témoignant dans les collèges et les lycées de France dans le cadre du programme d’actions éducatives mis en place par l’AfVT depuis 2018 pour sensibiliser aux dégâts du terrorisme et à son inanité.

 

En effet, depuis 2018, l’AfVT s’est aussi donné une mission éducative et préventive, sous la direction de Chantal, professeure de français détachée par l’Éducation nationale, afin d’aller à la rencontre de lycéens, des collégiens, pour prévenir la radicalisation, démêler les théories du complot, les sensibiliser aux conséquences du terrorisme.

Cette année, comme tous les ans depuis six ans, Chantal s’est rendue dans 25 établissements, onze académies, toujours accompagnée de deux témoins, qui disent ce qu’ils ont vécu, qui parlent de l’attentat qu’ils ont subi et des conséquences sur leur vie.

 

Hier, je vous ai fait parvenir, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs de la Cour, comme aux parties, un article du quotidien Libération, sur une action de l’AfVT la semaine dernière dans un lycée parisien.

 

Cette semaine, sur trois demi-journées, l’action de l’AfVT s’est déroulée au Lycée Jean-Baptiste Corot de Savigny sur Orge, dans l’Essonne, dans une classe de seconde. À son programme d’Éducation morale et citoyenne : Justice, Droits de l’Homme, État de droit. C’est sous ce prisme, qu’il a été question de ce procès qui nous occupe, de cet attentat à Strasbourg, un soir du marché de Noël en décembre 2018.

Comment se déroule un procès ? Qui est présent, qui sont les parties, qu’est-ce qu’une Cour spécialement composée ? Pourquoi ? Qu’est-ce que la présomption d’innocence ? qui sont les accusés, quels sont les droits de leur défense ?

 

Et mardi prochain, 2 avril, je vous l’ai dit, Madame la Présidente, ces 35 élèves viendront assister à l’audience, écouter le réquisitoire, avec leurs professeurs, avant d’accueillir dans leur classe, dès le lendemain un rescapé du Bataclan et une victime de l’attentat de Strasbourg, frère endeuillé de Kamal, qui avait quitté l’Afghanistan avec toute sa famille et obtenu l’asile politique en France. On s’en souvient.

Prévenir la radicalisation,

Remettre dans l’humanité ceux qui en désespéraient,

Montrer notre humanité.

Réintégrer les victimes dans la communauté des humains.

Ce sont les buts que tente d’atteindre par ce programme l’AfVT.

Mais aussi transmettre nos valeurs. Liberté, liberté d’expression. Laïcité. Expliquer que la République n’est pas contre l’Islam, n’est pas contre les religions, qu’au contraire, elle les protège, en permettant à chacun de vivre sa foi, dès lors qu’on ne cherche pas à l’imposer aux autres en la sortant de la sphère privée.

N’est-elle pas d’ailleurs, Strasbourg, la ville de toutes ces valeurs, de tolérance et de laïcité ?

Strasbourg, capitale de la réconciliation franco-allemande, siège du Parlement de l’Union européenne, carrefour séculaire des religions catholique, protestante, juive, rejointes depuis quelques décennies par une importante communauté musulmane sans histoire, c’est bien cette ville symbole que l’accusé a martyrisée, ensanglantée à jamais.

Avant de conclure, juste quelques mots, sur les accusés. Il ne nous appartient pas de porter l’accusation. Et c’est à vous qu’il revient la tâche de les juger et de prononcer les peines qu’il convient, le cas échéant. Pourtant, à leur propos, je veux vous livrer, exactement, brutalement, ce que m’ont dit les membres de l’AfVT, lorsque j’ai préparé, avec eux, cette plaidoirie : ils m’ont dit, « on en a marre de cette éternelle ritournelle, de procès en procès » :

« J’ai vendu des armes mais je ne savais pas. Si j’avais su, je n’aurais pas vendu, je ne pouvais pas savoir, jamais je n’aurais pu imaginer… ».

Ben voyons ! « On en a marre », m’ont-ils dit, avec un constat très simple, pour lequel il n’est pas nécessaire d’atteindre la seconde et de recevoir l’AfVT dans sa classe pour s’en convaincre :

Vendre une arme, pour un braquage, c’est aussi grave que vendre une arme pour commettre un attentat. C’est trivial de le dire et cela a beaucoup été dit : une arme ça tue. Pas d’arme, pas de blessés, pas de morts, qu’il s’agisse d’un braquage ou d’un attentat. La victime est toujours de chair et de sang et il y a toujours des proches pour les pleurer à jamais sans jamais pouvoir se relever.

Qu’ils aient su ou pas, ceux qui ont mis en relation, qui ont vendu, qui ont armé le tueur, pour se faire « un petit billet », comme ils disent ou, pire « pour se rendre utile », sont comptables des blessés et des morts de l’accusé. Ils ont une responsabilité dans la commission de cet attentat qu’il vous revient d’évaluer pour chacun d’entre eux. Et de prononcer, le cas échéant, les peines qu’ils méritent en fonction du rôle qu’ils ont joué.

Mais il est insupportable d’entendre dire, « je n’ai tué personne, je n’y suis pour rien, je n’ai rien à voir là-dedans ».

Nous espérons qu’au terme de ce procès, chacun l’aura compris et que plus jamais, on peut rêver… des armes seront vendues pour se faire à petit billet au mépris de la vie d’autrui.

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La vocation de l’Association française des Victimes du Terrorisme est d’agir au plus près des victimes du terrorisme pour accompagner leur travail de guérison, de reconnaissance, de vérité, de deuil et de mémoire tout en soutenant la lutte contre la banalisation de la violence et la barbarie.


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