
Monsieur le Président, Mesdames de la cour,
Tout au long de ce procès, j’ai eu l’honneur de représenter et d’assister l’Association française des Victimes du Terrorisme, l’AfVT fondée et animée par des victimes d’attentats et qui s’est fixé pour objectif premier, d’être aux côtés de toutes les victimes, dès les premiers instants, lorsque le destin les foudroie et de rester toujours à leurs côtés pour les aider sur le très long chemin de la reconstruction, physique et psychologique. Un chemin qui parfois ne s’arrête jamais, qui dure toute la vie, alors que l’attentat s’estompe peu à peu dans la mémoire collective.
Depuis sa création en 2010, l’AfVT a été rejointe par des dizaines, des centaines de victimes. Hélas…
Je dis hélas, parce que personne ne souhaite être victime et personne n’a choisi de son plein gré de rejoindre l’AfVT.
Ce sont des femmes, des hommes de tous les âges, de toutes les confessions, issus de milieux différents, de Paris et de province, dont on pourrait lister leurs différences à l’infini, qui n’ont en gros qu’un seul point commun, la malchance d’avoir été frappés par l’hydre du terrorisme, par l’hydre DES terrorismes.
Le politique, l’antisémite, l’islamiste, le djihadiste, celui nauséabond d’extrême droite, celui, tout aussi puant de l’extrême gauche radicale.
Tous ces grands brûlés de la vie qui se retrouvent à l’AfVT, sont tous victimes d’individus qui pensaient, qui pensent qu’ils ont le droit, le devoir de tuer au nom de leur cause.
Des causes dont certaines aujourd’hui sont totalement démodées, dépassées, enterrées…
Alors ils gardent l’espoir, ces victimes d’attentats, que ces causes qui sèment la mort finissent au plus vite par se ringardiser. Oui, ces victimes qui ont rejoint l’AfVT ont cet optimisme. C’est lui qui sous-tend leurs actions, notamment le programme d’actions éducatives que l’AfVT a mis en place depuis 2018, sous la direction de Chantal, professeure de français détachée par l’ Éducation nationale auprès de l’AfVT, afin d’aller à la rencontre des lycéens, des collégiens de notre pays, pour prévenir la radicalisation, démêler les théories du complot, les sensibiliser aux conséquences du terrorisme, là même où le terrorisme a frappé.
À Nice, à Paris, au collège du Bois d’Aulne où enseignait Samuel PATY, mais aussi au lycée Vaucanson des Mureaux, en avril 2022.
Ce jour-là, dans ce lycée des Mureaux, où les élèves avaient une dizaine d’années lorsque l’attentat a été perpétré, le programme éducatif avait été intitulé « Le terrorisme, si loin, si proche » et deux grands témoins, deux victimes d’attentats accompagnaient Chantal. Rachid et Michel.
Le premier Rachid, parce que c’est un policier, un flic comme on dit, qui connaissait personnellement Jessica Schneider avec laquelle il avait travaillé. Le second, Michel parce qu’il est une des victimes des attentats de janvier 2015.
Si je les cite, l’un et l’autre, c’est pour rappeler que le 11 janvier 2015 après Charlie, après l’assassinat d’Ahmed MERABET, après l’Hyper Cacher, dans les rues de Paris et partout en France, nous étions plus d’un million. Et les gens portaient des pancartes sur lesquelles on lisait « je suis Charlie, je suis juif, je suis flic.. »
Je suis flic, en l’occurrence, aujourd’hui, c’est ce que veulent redire, plus que jamais, les membres de l’AfVT avec lesquels j’ai échangé pour préparer cette plaidoirie, aux familles et aux collègues de Jessica Schneider et de Jean-Baptiste Salvaing, pour témoigner de leur solidarité et de leur compassion.
Quand j’ai échangé avec les membres de l’AfVT, en préparation de cette plaidoirie, victimes de l’attentat du DC-10 UTA en 1989, du Caire en 2009, de janvier et du 13 novembre 2015, etc. etc., toutes m’ont dit combien ce qui a été commis dans l’intimité d’une maison d’un jeune couple sans histoire, dans la sphère intime d’un bonheur familial, massacré au nom du prophète, derrière les rideaux du salon, à l’arme blanche, devant leur enfant, de moins de quatre ans, les a particulièrement choqués, affligés encore d’une autre façon.
Être affligé, cela signifie ressentir encore plus le poids de la peine, de la tristesse. C’est ce qu’ils ont éprouvé, c’est ce que nous avons tous éprouvé.
Ces autres victimes m’ont dit aussi, combien elles perçoivent encore plus la lâcheté de ce crime, car c’est tellement simple, facile, abject d’entrer dans une jolie maison et d’y semer la mort, comme ce soir du 13 juin 2016.
Et un autre détail, encore, qui les a particulièrement frappés, choqués, écœurés, c’est l’évocation de la mère de l’assassin dans sa revendication. À laquelle, il témoigne de son amour après avoir égorgé, juste avant, une jeune maman.
Mais il est temps de parler de cette revendication.
Avant, cependant, je veux dire que je n’irai pas au fond du dossier. La démonstration de la culpabilité de l’accusé est de la responsabilité du Ministère public qui n’a pas besoin d’auxiliaire. Je ne vous livrerai donc que mes impressions d’audience :
« Quelle impression ont fait, sur ma raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. »
D’abord, je veux dire, si l’accusé est là, dans ce box, ce n’est pas le système qui l’y a envoyé, ni-même la nécessité d’avoir un coupable à tout prix. Non, ce qui l’a envoyé dans ce box, c’est avant tout, d’abord et surtout, ce qui l’a envoyé là, c’est son ADN.
Quand on pénètre dans cette salle, lorsque l’on rentre dans ce procès, c’est lui qui écrase toute la présomption d’innocence.
Cette trace ADN, pure, sans mélange, a été retrouvée sur le repose-poignet droit de l’ordinateur des victimes. Sans mélange et surtout dans une concentration supérieure à celle retrouvée sur la ceinture de sécurité et l’appuie tête du siège passager de la voiture de l’accusé.
Les expertises, notamment la première, celle du Docteur FOURNIER, sont sans appel. La semaine dernière, celle-ci, comme le Docteur PASCAL qui a réalisé une contre-expertise, sont venus soutenir leurs rapports. Sont venus dire qu’un transfert d’ADN était peu probable ; la pureté de la trace d’ADN de l’accusé, sans mélange, avec une concentration supérieure à celle retrouvée dans la voiture de l’accusé, rendait peu probable qu’elle ait été transportée par M. A.
« Mais on ne peut pas l’exclure », ont-ils dit.
Dans un premier temps, cette précaution m’a surpris, elle est en deçà des conclusions que l’on retrouve dans le dossier d’instruction. Et puis, en y réfléchissant, je me suis dit quelle chance d’avoir à la barre de tels experts, avec une telle honnêteté intellectuelle. Qui n’ont pas voulu se laisser embarquer au-delà des limites de leur science.
On sait, en effet, que la science n’édicte pas de vérité définitive. Et donc, si on ne peut l’exclure, il reste qu’à ce jour, il est peu probable qu’une trace d’ADN pure, sans mélange, avec une concentration supérieure à celle retrouvée ailleurs, ait été transportée. Sur l’ordinateur des victimes, jusqu’à preuve du contraire, jamais constatée, il reste qu’à ce jour, cet ADN a bien été déposé par l’accusé lui-même.
Même raisonnement s’agissant de la déposition de la psychologue qui suit Matthieu depuis l’été 2016. À cette barre, on attendait beaucoup de ces deux figurines manipulées par Matthieu dans le bac à sable de son cabinet, déposées dans le camp des méchants, en face des gentils.
On attendait beaucoup aussi de l’interprétation de ses cauchemars. Mais encore une fois, voilà un expert qui n’a pas voulu s’aventurer au-delà de sa science.
En substance, qu’il y ait plusieurs figurines ou plusieurs méchants dans un cauchemar, ne donne aucune indication du nombre de personnes qui auraient pu se trouver au domicile de ses parents le 13 juin 2016 mais seulement l’expression de la violence, de la profondeur de l’étendue de son traumatisme.
C’était trop lui demander, dont acte. Encore une fois, c’était frustrant. Mais quelle chance, finalement, d’avoir de tels experts, armés d’une telle rigueur à la barre dans un procès.
Combien de fois m’est-il arrivé de ce côté de la barre, entendre ces experts envoyer mon client en prison, sans retenue, plombé d’une lourde peine, quand on le sait innocent et que le dossier est absolument vide de toute preuve matérielle. Rien, Rien, que leurs rapports. Et c’est à chaque fois scandaleux.
Alors quelle chance, en effet d’avoir eu, à la barre ces experts si rigoureux ! Je crois qu’ il ne sera pas contesté que l’accusé aura eu un procès équitable.
La revendication à présent :
Neuf pages, truffées de références religieuses, de renvois au Coran et à divers savants.
– « tu parles ! » nous a dit en substance, l’accusé, « à peine quatre versets, deux hadith, deux citations de savants ».
À ses yeux, ce n’est peut-être pas beaucoup, mais sous la plume de l’accusé, dans sa façon de les lire, dans la vidéo qu’il a enregistrée et qui a été diffusée, ces citations ne semblaient pas vraiment être des broutilles.
On l’y voit lire, suivre son texte des yeux, lire ses phrases, sans jamais en décrocher, un peu comme à une ligne de vie lorsqu’on ne sait pas nager, hormis lorsqu’il parle des faits au moment présent, de son crime ou lorsque son message se fait plus personnel.
À la barre, ce que l’on a appris de l’assassin, si ce n’était pas un abruti, il n’en reste pas moins qu’on en a dressé le portrait d’un homme sans grande connaissance religieuse, voire sans structuration religieuse du tout, plus tête brûlée qu’intellectuel.
En revanche, des deux, de l’assassin et de l’accusé, c’est à ce dernier que renvoie cette revendication. Des deux, l’intellectuel, c’était lui.
Non pas parce qu’on aurait retrouvé chez lui un texte qui s’en inspire fortement. En effet, ce texte semble pouvoir se retrouver aisément sur internet pour qui saurait où le chercher.
Mais sa syntaxe, ses phrases bien construites, cette obsession de tout sourcer, font penser à la façon dont s’est exprimé l’accusé, tout au long de ce procès.
Neuf pages, presque sans fautes d’orthographe quand on sait la difficulté pour tout un chacun, pour moi en tout cas, de ne pas en laisser dans un texte aussi long.
Oui, c’est aussi la longueur de cette revendication 9 pages, plus de 13 minutes, qui est la marque de fabrique de l’accusé.
Pour avoir assisté à de nombreux procès d’attentats terroristes sur ce banc des parties civiles, aucune revendication n’a jamais été aussi longue, aussi détaillée, aussi précise dans la justification du crime perpétré contre les mécréants.
On l’a entendu, l’accusé, c’est sa façon de parler, son sens de la précision, cette propension à tout examiner à ne rien laisser en suspens. On l’a entendu parler, cette revendication, c’est son style, c’est son obsession.
On sait aussi que l’accusé aime écrire. Ses avocats le savent, comme s’en souvient également, Sarah … Dans le dossier, il y a en effet, cet échange à propos de 23 pages sur la religion que lui a envoyé l’accusé sur Telegram. À lire cet échange, on mesure l’emprise que tente de prendre l’accusé sur celle qu’il voulait épouser et le désarroi de cette dernière, à devoir de ses 23 pages, en faire un résumé.
Quant aux témoins :
Ce que j’ai surtout entendu, « ce n’est pas un éclaircissement » des déclarations faites lors de l’instruction et retranscrites sur les procès-verbaux qu’ils ont relus et signés, comme l’a martelé à plusieurs reprises M. M vendredi matin.
Mais plutôt, en lieu et place de cet éclaircissement, ce que j’ai entendu, moi, c’est la peur, la peur des témoins à répéter en public, ce qu’ils ont déclaré lorsqu’ils ont été entendus entre les quatre murs d’un commissariat ou du cabinet du juge d’instruction. Une peur imposée depuis la salle, et pour le dire franchement, depuis le premier rang du public, par le frère aîné de l’accusé.
Enfin, ce week-end, j’ai lu tous les comptes rendus de presse qui ont relaté cette journée de vendredi dernier. Pourtant, il s’est dit quelque chose à l’audience, le matin, que personne n’a repris, comme aucun de mes confrères qui viennent de plaider avant moi.
Peut-être, parce que c’est fragile et qu’il y a danger mais, tant pis je me risque parce je l’ai entendu et que je l’ai noté. Comme d’autres, je sais.
Le 13 juin 2016, l’ordinateur des victimes a été allumé une première fois de 19h13 à 20h06, puis de 20h07 jusqu’à 23h57.
Évoquant cette deuxième utilisation, vendredi matin, l’accusé, nous a dit s’étonner qu’on fasse tant de cas de cet ordinateur, alors que le plus longtemps qu’il avait été allumé, qu’il avait été consulté, c’était, a-t-il dit : « au moment où je ne suis pas là ».
« AU MOMENT Où JE NE SUIS PAS Là ».
Quelles que soient, quelles que seront les explications données, « il s’est mal exprimé, sa langue a fourché » « ce n’est pas ce qu’il a voulu dire, tout ce qu’on voudra, il n’empêche qu’il l’a dit. Cette phrase, prononcée vendredi matin par l’accusé est un lapsus. Un lapsus révélateur.
« Au moment où je ne suis pas là » … ne peut dire qu’une seule chose, c’est qu’à un moment, j’ai été là.
Si j’en crois la définition qu’en a donnée Freud, dans son introduction à la psychanalyse, voilà ce que j’en comprends :
En psychanalyse, le lapsus, c’est la manifestation ce que l’on pense réellement, de ce que l’on tente de cacher, que l’on a tenté de refouler.
- L’accusé nous a fait la démonstration de sa maîtrise. Il faut s’imaginer son cerveau comme une forteresse et cet écart de langage, cette langue qui a fourché, c’est la brèche par laquelle la vérité qu’il tente de refouler, de cacher, s’est faufilé, s’est révélée, à son insu.
Alors, on pourra bien se gausser de cette psychanalyse de comptoir. Mais pour nous ce lapsus a résonné comme un aveu.
« À un moment où je n’y étais pas », cela veut qu’à un moment, dans cette maison, sans vis-à-vis, dans laquelle on peut y pénétrer et en ressortir sans être vu, j’ignore ce que l’accusé, y a fait, quand il y est rentré et quand il est sorti. Mais j’en suis convaincu, aujourd’hui, dans cette maison, à un moment, le 13 juin 2016, l’accusé y était.