
Plaidoirie de Maître JOSSERAND SCHMIDT aux côtés de Maître Dan HAZAN au procès des attentats de janvier 2015
Le temps est venu pour les victimes de prendre la parole une dernière fois. Procès pour l’histoire, dit-on, histoire judiciaire qui, dans 50 ans, sera la réponse au terrorisme du début du siècle, histoire de vies brisées, niées, histoire d’un terrorisme qui massacre au nom d’un Islam radical que notre pays subit depuis de nombreuses années et dont on n’entrevoit toujours pas le début de la fin.
Les attentats ont été revendiqués par l’État islamique et Al-Qaïda, revendiqués au nom de l’idéologie islamiste radicale, celle qui impose la supériorité du religieux au politique, la soumission plutôt que la liberté. La liberté fondamentale est devenue mécréante. La simple réapparition de ces mots est une stupéfaction quotidienne. La terreur veut nous faire plier. Nous devrions faire machine arrière et mettre à bas toutes les considérations humanistes depuis les Lumières. Il faudra renoncer au long contrat établi entre la religion et la vie de l’État, séparation douloureuse, mais aujourd’hui chérie de tous. Le terrorisme islamiste nous intime d’y renoncer sous la terreur et dans le sang.
Maître JOSSERAND SCHMIDT fait un rappel non exhaustif des attentats connus à ce jour en France.
Ce terrorisme est encore celui-là qui a frappé cette audience. Nous attendions nous à plaider sur ces faits là ? Encore ce matin à Nice, deux femmes, un homme dans une basilique. C’est celui qui a tué des juifs, des ennemis sacrés, des journalistes pour des dessins. Procès pour l’histoire, une histoire qui, en réalité, n’en finit jamais de se répéter : en 2013, 2014, 2015. Le terrorisme islamiste s’appuie sur deux piliers. D’une part, le prosélytisme, celui qui répand l’idéologie mortifère ; cette branche qui terrifie est assurée par la logistique de délinquance de droit commun. Elle se marque par la radicalisation en détention, par des bras armés de moins en moins érudits, de moins en moins sachants. Ce ne sont plus des érudits. Ce qu’ils apportent à la cause islamiste, ce n’est pas leur connaissance théologique ou même leur pratique connue ou non de l’Islam, c’est un savoir-faire. Ils savent dissimuler, ils savent se battre, ils savent trouver de l’argent. C’est ce que l’on appelle la troisième génération du djihad, qui vient de la détestation de la France. Celle qui vient des prisons et des quartiers où tout se sait, à commencer par le statut social de chaque délinquant.
Le temps est donc venu pour nous, avocats, de porter la voix des victimes des attentats des 7, 8 et 9 janvier, tâche qui nous honore. Présents auprès des victimes dès les premiers instants, les premiers SMS, amis avant d’être avocats. Pour d’autres d’entre nous, nous sommes entrés dans la vie des survivants et des familles endeuillées. Nous sommes devenus une sorte de médecin dont ils se seraient bien passés. L’avocat est parfois devenu un ami. J’ai une pensée pour mes clients, qui m’ont confié la prise de parole. Ces victimes, nous avons essayé de comprendre leur drame, nous avons essayé d’essuyer les larmes ; nous ne nous battons pas pour éviter des années de prison. Tous nos clients ont déjà payé le prix, le prix le plus cher. Ils sont condamnés à pleurer toute leur vie, l’être aimé qu’ils ont perdu, qui a quitté ce monde dans la violence la plus inouïe, ou ceux qui ont survécu, qui tentent aujourd’hui de ramasser leurs lambeaux de chair et d’entamer le chemin de la reconstruction.
Qu’allons nous ajouter à nos plaidoiries ? Peut-être ce qu’ils n’ont pas réussi à vous dire, et aussi ce qu’ils ont pensé de ce qu’on dit des accusés et des témoins amnésiques qui sont passés à la barre. Conscients de l’humilité dont nous devons faire preuve pour restituer à chacune des victimes sa place, ses mots, ses pensées, pour mes confrères, tous les trois d’une seule voix, c’est d’accompagner celles et ceux qui ont choisi de dépasser leur position victimaire et de faire de leur lutte contre le terrorisme leur carburant. Empêcher que cela recommence indéfiniment. C’est notre responsabilité collective qui est questionnée ; c’est pour cela que des associations comme l’AfVT et la FENVAC sont présentes, car il reste des questions auxquelles nous devons apporter des réponses.
On se lève aujourd’hui pour plaider parce que, dans ces associations, tous les jours, on se lève pour qu’on ne coupe plus des têtes, qu’on ne tue plus des journalistes et qu’on ne tue plus des juifs simplement parce qu’ils sont juifs.
Soixante-quatorze plaidoiries de partie civile sur quatre jours, c’est ce que nous livrons. Soixante-quatorze plaidoiries, c’est beaucoup ? Oui, et alors ? Aucune victime n’a choisi d’être ici, dans cette salle d’audience. Que sont ces quatre jours ? Rien, pour nous professionnels. Nous pourrons ensuite aller nous reposer. Alors, plus de quatre jours de plaidoiries de partie civile n’auraient pas été indécents pour parler de nos victimes. Les accusés sont-ils déjà condamnés par notre surnombre ? Personne ne le souhaite et nous savons qu’il n’en sera rien. L’attente de justice n’a jamais fait condamner qui que ce soit.
Parler d’un déséquilibre, mais quelle force constituent les victimes ? Aucune. La seule force est celle de chaque homme et chaque femme qui a trouvé la force de se mettre à nu devant nous, pour se livrer à un devoir de mémoire. Chaque victime constitue plus de force que vous tous, accusés.
En première semaine, ils aimaient tous la liberté d’expression. En deuxième semaine, ils aimaient tous les policiers. Et en troisième semaine, ils aimaient tous les juifs. Ils auraient tout donné pour leur liberté, eux qui ont outillé les assassins. Ont-ils été pris d’écœurement par les tueries pour aider la police ? Pas le moins du monde.
Avant de transmettre la parole à mes confrères, nous voudrions dire un mot à l’attention des victimes au sujet des blessures invisibles laissées par le terrorisme : « On cicatrise de l’extérieur, mais jamais de l’intérieur. » Un mot écrit par une des victimes ; voilà ce qu’elle écrit, elle l’écrit pour les autres victimes : « Vous étiez celui que vous étiez, le mari, la femme, le fils aimant, l’ami loyal et enjoué, ne laissez pas s’imposer l’idée que vous n’êtes que cette force. »