
Monsieur le Président, Mesdames de la Cour,
Je vais vous parler de l’ASSOCIATION FRANCAISE DES VICTIMES DU TERRORISME (AfVT) et de la raison pour laquelle elle est ici présente à ce procès.
L’AfVT est une association qui a été créée en 2009 par des victimes de l’attentat du DC-10 UTA de 1989 et de l’attentat du Caire de 2009.
Ses fondateurs ont souhaité lui donner une large mission ayant eux-mêmes fait la triste expérience du parcours du combattant auquel chaque victime d’un attentat est exposée.
Ses missions sont résumées dans ses statuts : donner une assistance morale, administrative, financière, juridique, médicale, mémorielle aux victimes d’infractions en relation avec une entreprise terroriste individuelle ou collective, ou à leurs familles, quelle que soit la nationalité de la victime, ou celle de l’auteur, et quel que soit le lieu de commission de l’infraction (France ou étranger).
Ses missions, qui sont vastes, correspondent à une réalité : la nécessité d’être présent aux côtés des victimes à compter du premier instant où leur vie bascule, et de rester à leurs côtés pour les aider sur le très long chemin de la reconstruction. Un chemin qui, parfois, ne s’arrête jamais, qui dure toute la vie, alors que l’attentat s’estompe peu à peu dans la mémoire collective.
Ils l’ont dit à votre barre :
- « Nous, on est blessés à vie »
- « Chaque attentat ravive la douleur. Quand il y a un attentat, j’ai des idées noires, je prends mes cachets ».
Depuis sa création, l’AfVT a été rejointe par des dizaines, des centaines de victimes.
Ce sont des femmes, des hommes de tous les âges, de toutes les confessions, issus de milieux différents, de Paris, de province, ou de l’étranger, qui ont un seul point commun, la malchance d’avoir été frappés par le venin du terrorisme : le politique, l’antisémite, l’islamiste, le djihadiste, celui de l’extrême droite ou celui de l’extrême gauche radicale.
À chaque attentat, pour toutes ces victimes, c’est une douleur qui se ravive. Ce sont toutes les séquelles psychiques qui remontent à la surface. Si l’AfVT est là, comme elle l’est dans tous les procès terroristes, c’est pour représenter cette communauté de victimes qui souffre à chaque attentat ou tentative d’attentat. Et l’AfVT a pour première mission de rappeler, à chaque procès, que pour chaque infraction en lien avec une entreprise terroriste, que des centaines de personnes ne cessent de revivre et de subir inlassablement la douleur qu’elle a causée.
Tous ces grands brûlés de la vie qui se retrouvent à l’AfVT sont tous victimes d’individus comme l’accusé, qui pensent qu’ils ont le droit, le devoir, de tuer au nom de leur cause.
Et donc, le 27 avril 2020, l’accusé a ravivé une fois de plus cette douleur chez ces centaines de personnes dont l’AfVT veut porter la voix aujourd’hui.
Enfin, l’AfVT s’est aussi donné une mission éducative et préventive, en intervenant dans des collèges et lycées français pour prévenir la radicalisation, tordre le cou aux théories du complot que l’on trouve si facilement en naviguant sur YouTube comme l’accusé l’a fait, sensibiliser aux conséquences du terrorisme, etc.
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S’agissant des faits qui nous concernent, je ne doute pas que la Cour sera convaincue de la culpabilité de l’accusé.
Et aucune autre qualification que celle de l’ordonnance de mise en accusation ne pourra être retenue, contrairement à ce que sa défense plaidera.
Car c’est bien d’une attaque terroriste dont il est question ici devant vous et rien d’autre.
L’accusé veut nous faire croire qu’il a fait ça sur un coup de tête, au volant de sa BMW quand il a aperçu la patrouille de policiers !
Mais la nature terroriste et la préméditation ne font aucun doute. Tous les marqueurs sont là. La voiture-bélier, la lettre d’allégeance, le couteau, les recherches sur YouTube, cette propagande de l’État islamique, glaçante mais extrêmement efficace et qui salit l’Islam.
Et ces marqueurs renvoient exactement à l’appel du porte-parole de l’Etat islamique, qui proclamait le 22 septembre 2014 :
« Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen — en particulier les méchants et sales Français — ou un Australien ou un Canadien, ou tout […] citoyen des pays qui sont entrés dans une coalition contre l’État islamique, alors comptez sur Allah et tuez-le de n’importe quelle manière. Si vous ne pouvez pas trouver d’engin explosif ou de munitions, alors isolez l’Américain infidèle, le Français infidèle, ou n’importe lequel de ses alliés. Écrasez-lui la tête à coups de pierres, tuez-le avec un couteau, renversez-le avec votre voiture, jetez-le dans le vide, étouffez-le ou empoisonnez-le ».
Comment croire à « un coup de tête » ? Et quand bien même…quelle différence… ? Comme si c’était une circonstance atténuante…
Et son attitude postérieure ne fait que corroborer son adhésion à l’État islamique : ses premières déclarations en garde à vue, et surtout cette lettre… Que penser de cette lettre envoyée le 4 décembre 2020, donc 8 mois après les faits, à une femme condamnée pour avoir préparé un attentat (échoué) à Notre-Dame.
Je vais vous en lire quelques courts extraits :
- Tu vas bien, je t’écris de Bois d’Arcy. Depuis le 1er mai 2020 je suis incarcéré pour terrorisme. Mon affaire a été médiatisée peut-être que tu l’as vue. Je vais être condamné à la même peine que toi, l’avocat m’a dit entre 25 et 30 ans, donc seules peu de personnes peuvent comprendre les longues années qui nous attendent.
- Moi je suis célibataire d’origine marocaine et toi ? tu es célibataire ou mariée ? j’ai toujours rêvé de rencontrer une femme pieuse, peu importe l’âge, l’origine ou la beauté. Lorsque je t’ai vue, je t’ai trouvée très charmante et ton hijab sublime ton visage Si tu veux on peut correspondre et pour longtemps. Etc etc.
Comment ne pas y voir la lettre d’un admirateur voire une déclaration ?
Même son attitude à l’audience n’est pas franche. Ses excuses paraissent forcées et feintes. Il donne l’impression qu’il ne voit pas vraiment où est le problème. Il est le seul à ne pas être abasourdi par son acte.
La banalité du mal. La banalité de la violence. La banalité de la haine. L’échec d’une société. L’échec de parents qui banalisent aussi et se cachent. Rien n’a d’importance.
J’ai été marquée par ce qu’a dit l’enquêtrice : « il a toujours une bonne excuse, il se déresponsabilise de tout ».
Et rappelez-vous de la déposition de Monsieur qui a terminé en s’adressant directement à l’accusé, il lui a dit d’un air halluciné : « Mais vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? Que ces gars-là ont une famille ? ».
Pour conclure, si l’AfVT se constitue systématiquement partie civile, c’est pour que ce banc ne soit jamais vide, même lorsqu’un attentat est déjoué et qu’il n’y a aucune victime.
Demain, Madame l’Avocat général va requérir. Au terme d’un procès où tous les droits de la défense ont été respectés, elle requerra une peine qui n’aura rien à voir avec la charia. Ici, aucune main ne sera tranchée, personne ne sera lapidé ou égorgé.
Est-ce vraiment de ce monde-là dont vous rêvez ? Mesurez-vous le privilège que nous avons de vivre librement, d’aller à l’école gratuitement, d’avoir le droit de ne pas croire en dieu, de se moquer des religieux et des hommes politiques ?
Rappelez-vous le 11 janvier 2015 après l’attentat de Charlie, après l’assassinat d’Ahmed MERABET, après l’Hypercacher, dans les rues de Paris, nous étions plus d’un million. Et les gens portaient des pancartes sur lesquelles on lisait « je suis Charlie, je suis juif, je suis flic ».
Aujourd’hui, Monsieur le Président, Mesdames de la Cour, plus que jamais, je suis flic.