COLLOQUE & DU VERNISSAGE DE L’EXPOSITION « EUROPE CONTRE LE TERRORISME, LE REGARD DE LA VICTIME »

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Lundi 21 octobre 2IMG_6294_high_resolution013 –

COMPTE-RENDU DU COLLOQUE & DU VERNISSAGE DE L’EXPOSITION « EUROPE CONTRE LE TERRORISME, LE REGARD DE LA VICTIME« 

« Une décennie d’actions concertées de lutte contre le terrorisme de la communauté internationale : quels enseignements ? »

Pour rappel, le 18 septembre 2013, s’était tenu au Quai D’Orsay un colloque ayant précédé le vernissage de l’exposition « Europe contre le terrorisme : le regard de la victime ».

L’événement était organisé par l’AfVT.org en partenariat avec la Fundacion Miguel Angel Blanco (Espagne) et surtout, en étroite collaboration avec les équipes du Centre de crise et de la DCP (Direction de la Communication et de la Presse) du ministère des Affaires étrangères.

 

Exposition dans l'Hôtel du ministre (Quai d'Orsay)
Exposition dans l’Hôtel du ministre (Quai d’Orsay).

Voici un compte-rendu des principaux échanges lors du colloque.

Table ronde 1 : les enseignements d’une décennie de lutte antiterroriste

  • Modérateur : Justin VAÏSSE, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie.
  • Jean-François DAGUZAN, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique.
  • Marc TREVIDIC, juge d’instruction au pôle antiterrorisme du Tribunal de grande instance de Paris.
  • Michel WIEVIORKA, administrateur de la Fondation Maison des sciences de l’homme.

Intervention de Jean-François DAGUZAN :

Le terrorisme de cette dernière décennie :

Pour M. DAGUZAN, le terrorisme se conçoit comme un phénomène de vagues, et la dernière décennie a été marquée par le terrorisme islamiste et par une internationalisation de la menace (que M. DAGUZAN lie au terrorisme palestinien).

La campagne militaire en Afghanistan a eu pour effet de fragmenter et d’autonomiser les différents groupes terroristes islamistes. Par ailleurs, on constate que depuis les années 2000, ces organisations ont commencé à conjuguer le territorial et l’universel. Ils choisissent comme point d’ancrage des états faibles et plus particulièrement des zones affaiblies par les conditions économiques ou par une crise locale. On parle aujourd’hui de « globalisation » pour décrire ce phénomène à travers lequel l’internationalisation du terrorisme s’appuie sur des crises locales.

M. DAGUZAN évoque d’autres types de terrorisme et nous appelle à réfléchir aux nouvelles menaces :

  • Le terrorisme lié à la défense des animaux, les anti-IVG, le terrorisme « vert ».
  • Le retour d’un terrorisme contestataire empreint de désespoir avec la crise économique (comme le « petit retour des Brigades rouges en Grèce »).

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Sur les réponses apportées à la menace terroriste :

M. DAGUZAN évoque Guantanamo afin d’illustrer le fait que ce n’est qu’à force de loi qu’on peut arriver à combattre le terrorisme, et non pas avec des actions clandestines qui finissent par toujours par affaiblir les démocraties.

Pour M. DAGUZAN, la lutte contre le terrorisme doit passer par un renforcement des moyens juridiques et par une amélioration  de la coopération policière et judiciaire. En effet, les actions policières conjuguées ont déjà porté un coup considérable aux groupes terroristes.

Les avancées de la dernière décennie au niveau européen :

  • L’harmonisation de la définition du terrorisme, notamment à travers la Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme.
  • L’alourdissement des peines des infractions terroristes.
  • Des avancées en termes de coopération judiciaire comme avec la mise en place du mandat d’arrêt européen, la Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres.
  • La clause de solidarité, introduite par l’article 222 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle prévoit que les membres agissent conjointement dans un esprit de solidarité en cas de catastrophes et d’attaques terroristes sur le territoire de l’UE, qu’il s’agisse du territoire terrestre, de la mer territoriale ou de l’espace aérien, « que l’origine de la crise se situe à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE ». Cet article crée ainsi une obligation de soutien et d’assistance en cas de circonstances exceptionnelles. Les modalités de mise en œuvre de la clause de solidarité sont définies par une décision adoptée par le Conseil, sur proposition conjointe de la Commission et du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (JOIN/2012/039 final – 2012/0370 (NLE) *).

 

Les problèmes majeurs auxquels sont confrontés les acteurs de la lutte anti-terroriste :

il s’agit de la fatigue et de l’usure. Or, l’action des victimes peut justement rappeler à ces acteurs l’importance de leur combat et prévenir ainsi une perte de vigilance qui rendrait l’Etat vulnérable à de nouvelles attaques.

De gauche à droite : Justin VAÏSSE, Jean-François DAGUZAN, Marc TREVIDIC et Michel WIEVIORKA
De gauche à droite : Justin VAÏSSE, Jean-François DAGUZAN, Marc TREVIDIC et Michel WIEVIORKA.

Intervention de M. Marc TREVIDIC

Sur le dispositif français de la lutte anti-terroriste :

Il date de la loi du 9 septembre 1986 qui prévoyait la spécialisation et la centralisation de la répression antiterroriste. Ce système perdure aujourd’hui et finalement, cette loi qui fut tant décriée lors de sa mise en vigueur, devint plus tard, avec la loi Perben II de 2004, le droit commun de la répression de la criminalité organisée.

Sur la définition juridique du terrorisme contenue dans la législation française :

Depuis 1986, les magistrats du pole anti-terroriste travaillent avec la même définition du terrorisme. En effet, grâce à une définition qui était initialement relativement large et grâce à un peu de gymnastique juridique, les magistrats du pôle anti-terroriste ont pu adapter et appliquer le droit à des situations mouvantes.

Les dangers de la lutte anti-terroriste :

Si le terrorisme est un crime odieux qui menace notre démocratie, on ne peut ignorer aujourd’hui  les risques de la lutte anti-terroriste. Ainsi, il semble que dans leur zèle, certains pays aient « sauté dans le vide » et sacrifié leurs idéaux démocratiques. On pense bien entendu aux Etats-Unis et au célèbre « Patriot Act », mais on peut aussi mentionner  la partie 4 du « Anti-terrorism, Crime & Security Act » qui a permis pendant un temps au ministre de l’Intérieur britannique d’ordonner la détention indéfinie de personnes étrangères suspectées (mais non inculpées) d’avoir commis des actes terroristes lorsqu’elles ne pouvaient pas être expulsées au motif qu’elles couraient un risque réel de mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.

D’après M. TREVIDIC, l’Etat français n’est pas tombé dans ce piège et a su préserver son socle procédural.

Les avancées de la dernière décennie :

Sur l’aggravation des peines : il y a dix ans, les magistrats étaient démunis : les acteurs d’un groupe terroriste ne risquaient que 10 ans, une peine complètement disproportionnée. Les peines ont été aggravées mais une difficulté demeure pour la justice. Cette dernière se doit de prononcer des peines qui apparaissent « justes » afin de ne pas attiser le ressentiment qui pourrait engendrer de la radicalisation.

Des réformes récentes se focalisant sur la lutte contre le micro-terrorisme :

  • La réforme permettant de recourir à la comparution immédiate pour certains délits de presse en matière de terrorisme (apologie du terrorisme…).
  • Celle prévoyant la compétence de la législation française même dans les cas où aucun des éléments constitutionnels de l’infraction n’a  été commis en France.

Les réformes nécessaires de cette lutte :

De grandes avancées ont été faites au cours de cette décennie en termes de coopération policière et judiciaire. Cependant, certains problèmes demeurent, notamment celui du morcellement des affaires entre différents pays. C’est pourquoi il faudrait peut-être aujourd’hui envisager la création d’un parquet européen et d’une juridiction supranationale qui pourrait statuer sur les groupes terroristes frappant plusieurs Etats.

Par ailleurs, nous devons prendre conscience de l’importance de lutter contre la radicalisation, et de s’attaquer ainsi aux causes du terrorisme et non pas uniquement à ses effets. En effet, alors que de plus en plus de nos jeunes baignent dans une culture de radicalisation, on peut aujourd’hui parler de milieux criminogènes pour le terrorisme.  Il est indispensable de s’adapter à cette situation de radicalisation interne. Aujourd’hui, il est incompréhensible de ne pas réprimer le fait que certains parents montrent à leurs enfants des vidéos violentes glorifiant le terrorisme. Ce travail de vigilance n’est pour autant pas uniquement du ressort de la justice. Il revient à la société tout entière de s’attaquer de manière proactive à ce problème de radicalisation.

Un autre élément important de cette lutte consiste à changer la vision de la société qui semble donner peu d’importance à nos compatriotes victimes d’actions terroristes à l’étranger. C’est le rôle du magistrat de faire aussi reconnaître ses victimes en tant que telles.

Le problème de la Syrie :

Plus la situation dure, plus le risque sera grand pour la France quand nos djihadistes partis « libérer la terre d’islam » rentreront de Syrie. Or, la France étant un pays de droit, nous ne pouvons empêcher ces personnes de partir de France pour prendre les armes en Syrie puisqu’au moment de leur départ, ils n’ont commis aucun fait de terrorisme. La sanction est néanmoins possible à leur retour pour leur participation à un groupe terroriste.

PS : le juge Marc TREVIDIC expose des cas concrets de radicalisation auxquels il a été confrontés dans son ouvrage Les sept piliers de la déraison.

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Intervention de M. Michel WIEVIORKA

Comment s’opère la montée en puissance des victimes depuis les 30 dernières années :

Dans le passé, le terrorisme était avant tout une atteinte à l’ordre, aujourd’hui c’est une atteinte à des personnes, des familles, des individus, des sujets. Les victimes sont en effet atteintes en tant que sujets car c’est leur possibilité d’exister qui est affectée, leur possibilité d’agir. C’est pourquoi il est si important que ces victimes soient reconnues et soutenues.

Les victimes du terrorisme peuvent aujourd’hui transformer leur drame personnel en action collective. Cela peut cependant poser des problèmes, la logique des autorités n’étant pas celle des victimes. Mais une des évolutions majeures des dernières décennies pour ce qui est de la place de la victime dans la lutte anti-terrorisme est le fait que les victimes peuvent maintenant demander des comptes à l’Etat.

Depuis les 30 dernières années, les victimes sont beaucoup plus visibles, leur montée en puissance s’est beaucoup appuyée sur l’émergence des nouvelles technologies, notamment des réseaux sociaux. Cependant, une visibilité seulement virtuelle serait insuffisante si elle n’était pas couplée à d’autres actions de réparation concrète comme le montre l’éventail des dispositifs commémoratifs et des initiatives, comme ce colloque, relayées au plus haut niveau de l’Etat.

Ceci étant dit, des progrès restent à faire, et l’action des victimes sera d’autant plus efficace quand celles-ci cesseront d’être définies comme porteuses d’un « manque », mais au contraire, lorsqu’elles seront considérées comme porteuses d’un message de paix, de connaissance.

Réflexion sur les causes du terrorisme :

Reprenant un des points de M. TREVIDIC, Michel WIEVIORKA parle de l’importance de s’interroger sur les causes du terrorisme, notamment le rôle de la prison dans la radicalisation menant au terrorisme. Il termine alors sur un constat, le fait que les futurs terroristes peuvent parfois recruter en palliant à des carences de l’Etat. Il convient donc à la société d’examiner avec lucidité ses insuffisances afin de ne pas donner une légitimation à des acteurs de substitution qui visent à imposer la radicalisation, voire le terrorisme.

 

De gauche à droite, Didier LE BRET, Françoise RUDETZKI, Isabelle DEWAILLY, Guillaume DENOIX de SAINT MARC.
De gauche à droite, Didier LE BRET, Françoise RUDETZKI, Isabelle DEWAILLY, Guillaume DENOIX de SAINT MARC.

Table ronde n°2 : et si on écoutait les victimes ?

Modérateur : Didier LE BRET, directeur du Centre de crise.

– Guillaume DENOIX de SAINT MARC, directeur général de l’AfVT.org et victime du terrorisme.

– Isabelle DEWAILLY, victime de l’attentat du café Argana à Marrakech en 2011.

– Françoise RUDETZKI, déléguée au terrorisme de la FENVAC.

 

 

Les besoins des victimes :

  • Les victimes doivent être reconnues, accompagnées et indemnisées afin de pouvoir participer activement à la cohésion sociale.
  • Les commémorations et l’édification de stèles constituent des moments réparateurs pour les victimes et rappellent à la société le besoin de ses victimes d’être soutenues.
  • Il faut lutter contre la stigmatisation que certaines victimes peuvent subir. Elles se voient associées de si près à l’événement traumatique qu’elles perdent parfois de vue qu’elles sont des individus avant d’être des victimes.
  • Les jeunes victimes doivent être particulièrement soutenues, notamment à travers des projets comme le « Common Bond Project » et le Projet Papillon qui peuvent libérer la parole et faire se rencontrer des jeunes ayant été victimes du terrorisme.
Marimar BLANCO, le ministre des Affaires étrangères espagnol José GARCIA-MARGALLO, et la ministre Hélène CONWAY-MOURET.
Marimar BLANCO, le ministre des Affaires étrangères espagnol José GARCIA-MARGALLO, et la ministre Hélène CONWAY-MOURET.

 La justice pénale vue par les victimes de terrorisme :

L’importance du procès : la tenue d’un procès est fondamentale pour les victimes. Un procès conforme à l’Etat de droit permet de mettre face à face les victimes et leurs agresseurs. Ces derniers, enfin, ne peuvent esquiver le fait de mettre un visage et une identité sur leurs victimes. Les terroristes ne peuvent dès lors plus évoquer de simples  « dommages collatéraux ». Même en cas de procès par défaut, un jugement peut aider les victimes à faire leur deuil et constitue une forme de reconnaissance par la justice de leur statut de victimes du terrorisme.

Les déficiences de la justice pénale :

  • Une coopération à améliorer : les victimes françaises présentes ont appelé la justice française à mettre tous les moyens en œuvre afin de faciliter la coopération, car la France ne peut lutter seule contre les crimes transnationaux. Les conditions d’une telle coopération se sont certes améliorées, mais de nombreux obstacles demeurent, et parfois alors même que la justice est active. Les dossiers des attentats de Copernic de 1980 et du Caire de 2009 sont notamment mentionnés comme illustrant les obstacles rencontrés lors d’une demande d’entraide ou de commission rogatoire internationale.
  • Le problème des morcèlements des dossiers, notamment quand deux personnes suspectées d’appartenir aux mêmes réseaux terroristes sont jugées par deux pays différents, sans être confrontées, comme ce fut le cas dans le dossier Carlos. Pour éviter un tel morcèlement, les victimes appellent à la création d’un parquet européen qui aurait compétence pour les affaires transnationales en matière de terrorisme.
  • Le problème de la longévité des procès : le temps judiciaire n’est pas celui des victimes, et il est parfois bien trop long. Une telle lenteur a même pu dans le passé priver les victimes de tout procès, en laissant s’écouler les délais de prescription. Afin de s’adapter à cette réalité, les délais de prescription ont été allongés en matière de terrorisme à 20 ans pour les délits, et 30 ans pour les crimes (art. 706-25-1 et 706-31 du Code de Procédure Pénale).

 

Discours de la ministre Hélène CONWAY-MOURET, en charge des français de l’étranger, en ouverture du vernissage.

Discours de Sonia RAMOS, Directrice générale du soutien aux victimes du terrorisme au ministère de l’Intérieur espagnol.

 Discours de Marimar BLANCO, présidente de la Fundacion Miguel Angel Blanco et présidente de la Fédération espagnole des victimes du terrorisme.

Didier Le Bret, Directeur du Centre de crise, et Elisabeth Guigou, ministre de la Justice dans le gouvernement de Lionel Jospin.
Didier LE BRET, Directeur du Centre de crise, et Elisabeth GUIGOU, ministre de la Justice dans le gouvernement de Lionel JOSPIN.

 

 

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