
En cette rentrée judiciaire, trois femmes revenues de Syrie comparaissent devant la justice française pour leur participation à l’État islamique. Ce procès met en lumière une question souvent passée sous silence : celle des violences commises par des femmes, qu’on préfère imaginer comme simples épouses ou mères, plutôt que comme actrices d’une idéologie meurtrière.
Par Murielle Dassonville et Tanguy Coz
Dans ce contexte, le pôle éducatif de l’AfVT a mené un projet le mardi 23 septembre, au lycée Paul Langevin à Suresnes, dans la classe de terminale ayant choisi comme option ; Droit et Grands Enjeux du Monde Contemporain.
Les lycéens se sont interrogés : pourquoi certaines femmes adhèrent-elles à l’idéologie djihadiste ? Que se passe-t-il dans l’esprit des enfants restés sur zone ? Et surtout : comment une victime peut-elle aller mieux ?
Pour nourrir cette réflexion, deux femmes sont venues témoigner devant eux.
Leurs parcours, marqués par la perte, la peur et l’engagement, ont profondément touché les élèves.
Le frère d’Asma, Hichem, a été assassiné par des islamistes le 6 juin 1994 à Alger durant la décennie noire. Asma avait 19 ans ; un mois plus tard, avec sa famille elle s’installait en France.
Le 13 novembre 2015, le compagnon d’Aurélie, Matthieu, est assassiné au Bataclan. Aurélie et Matthieu ont un petit garçon de 3 ans et attendent une petite fille qui naitra 3 mois après la mort de son papa.
Témoignages : l’abécédaire de la résilience
E comme Enfant
- « Avoir un enfant à ce moment-là, ça t’a connecté à la vie ? »
Aurélie : « Un grand oui. Si je n’avais pas eu à m’occuper de Gary mon fils, à prendre soin de moi pour ma grossesse, l’après 13 novembre, ça aurait été très différent. On forme un joli trio. »
G comme Grossesse
- « Vous avez dit que vous vous êtes accrochée à votre grossesse. Est-ce que vous avez eu peur de flancher ? »
Aurélie : « Je n’ai pas du tout flanché après les attentats ni à la naissance de ma fille. En fait, je n’ai jamais flanché, je crois que je n’ai pas trop pu. Mais j’ai commencé une thérapie immédiatement. J’ai surtout réfléchi à comment l’expliquer à mon fils. J’ai demandé à un pédopsychiatre de le suivre et je lui ai demandé par la même occasion de me suivre également. Depuis 10 ans, je ne rate aucune séance. »
P comme Peur
- « Ressentez-vous toujours de la peur ? »
Aurélie : « Ah oui ! Ça c’est l’après coup. Peut-être à cause de la sidération, de la panique ? J’ai peur de ma peur. J’ai eu tellement peur la nuit du 13 novembre que je ne veux pas que ça revienne. Je ne veux plus jamais revivre cela. Quand mon fils revient tard après son entrainement de foot, j’ai peur. J’ai peur qu’il se fasse tuer. C’est une terreur. »
Asma : « Pour moi, les attentats de 2015, c’est le cauchemar qui revient dans ma vie. Mais j’ai pu mettre de la distance. La peur il faut l’écouter, ça nous protège. La peur elle est là, oui. »
E comme Études
- « Est-ce que vos études de psychologie ont été des outils qui vous ont permis de comprendre votre vécu ? »
Asma : « Après l’assassinat de mon frère, alors que j’étais en France, j’avais des flashbacks, des images intrusives qui venaient n’importe quand, je croyais devenir folle. Le cinéma était le seul moyen de les court-circuiter. Mais oui, ça m’a apporté. Ce qui m’a fait basculer, c’est quand je suis allée à New York, après l’attentat contre les deux-tours du World Trade Center. Des familles de victimes ont invité d’autres familles de victimes du monde entier et j’ai pu rencontrer beaucoup de personnes qui avaient vécu la même chose que moi. Elles savaient ce que c’étaient que des symptômes post-traumatiques. Je me suis sentie bien, de partager des bons moments avec eux, c’est très important. Cette rencontre m’a permis de comprendre que je devais en parler en thérapie. J’aurais aimé commencer plus tôt. Aujourd’hui, je peux évoquer cet événement sans m’effondrer. »
D comme Deuil
- « Passer de l’Algérie, où il était interdit de parler des attentats de la décennie noire, à la France, où la parole est libre, cela vous a-t-il aidée pour votre deuil ? »
Asma : « Oui, c’était essentiel de pouvoir s’exprimer sans crainte. Dire les choses sans être condamnée. J’ai toujours continué à aller à Alger, c’est impossible de ne pas y aller. Mon frère est enterré là-bas. »
G comme Guérir
- « Pensez-vous qu’un jour, on puisse guérir ou aller mieux ? »
Aurélie : « Si je vais mieux, je peux répondre oui. Ensuite, se défaire de cet évènement, j’y ai cru, en allant au procès. Mais j’ai compris que je le porterai à vie… Il a fait bouger tellement de choses en moi. Cette histoire ne me définit pas, mais elle me constitue. »
Asma : « Je vais mieux. Je n’ai plus les symptômes post traumatiques, je suis heureuse. »
C comme Culpabilité
- « Ressentez-vous une forme de culpabilité ? »
Aurélie : « Oui. Qu’est-ce qu’on a fait pour que ça foire ? Pour que des jeunes de notre âge fassent ce genre de choses ? »
R comme Rancœur
- « Ressentez-vous de la rancœur ? »
Asma : « Non, je suis déçue et triste, car en Algérie il n’y a pas encore de justice et de réparation. Les victimes ne sont pas reconnues, ne sont pas écoutées. Nous n’existons pas. Je vois, cependant, que dans d’autres pays du Maghreb, des hommages sont organisés, ils ont pris conscience des souffrances des victimes. Quand j’étais jeune, j’étais très en colère, très radicale dans mes pensées. Mais je continue à avoir espoir, qu’un jour, au moins, les choses évoluent.
Une amie m’a conseillé d’écrire, elle m’a dit que « cette histoire ne t’appartiens pas, il faut que tu en parles. » Après la parution de mon livre Je ne pardonne pas aux assassins de mon frère (ed. Rives Neuves, 2011), beaucoup de jeunes en Algérie sont venus me voir pour me dire merci : enfin, quelqu’un parlait de cette souffrance. »
R comme Réhabilitation
- « Que pensez-vous de la réhabilitation du Bataclan ? »
Aurélie : « Je n’irai plus jamais dans la salle du Bataclan, mais je trouve cette réhabilitation très bien. Il se trouve que j’ai un ami musicien qui jouait au Bataclan, et ses amis se sont sentis obligés d’aller le voir en concert. Aller dans cette salle les a mis mal à l’aise. Mais plus tard, l’un d’entre eux m’a dit « Ici, c’est chez nous, pas chez eux. » Cette phrase m’a beaucoup marquée. »
P comme Procès
- « Quel est votre avis sur le procès des trois revenantes, où des femmes sont jugées pour des actes de terrorisme ? »
Aurélie : « C’est intéressant comme question. Pour moi, le mal n’est pas genré, les femmes y participent également. »
Asma : « En tant que psychologue, ce procès sur les femmes criminelles ou terroristes m’intéresse. »
Comprendre, transmettre, reconstruire
Ces échanges ont profondément marqué les lycéens.
À travers la parole de ces femmes, ils ont découvert que la justice ne suffit pas toujours à apaiser, mais que parler, témoigner, s’engager, soigner peut déjà être une forme de reconstruction.
Dans un monde où la violence cherche à faire taire, leurs voix restent, plus que jamais, un acte de résistance.

MERCI
À nos deux témoins, Asma et Aurélie.
Aux élèves de Terminale option Droit et Grands Enjeux du Monde Contemporain du lycée Langevin à Suresnes.
À leur professeure, Blandine Velayandon.
Au proviseur, monsieur Laurent Abécassis.
À nos partenaires,




