Un chirurgien vend aux enchères la radio d’une victime du Bataclan

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Un chirurgien orthopédiste réputé de l’hôpital européen Georges Pompidou, situé dans le 15ème arrondissement de Paris, a mis en vente la radiographie d’une rescapée des attentats du Bataclan, sur le site de vente aux enchères Opensea, au prix de 2 776 dollars. La radio représente l’avant-bras de la patiente, dans lequel on peut apercevoir nichée une balle de kalashnikov.

La mise en vente de ce cliché radiographique pose différentes difficultés, tant sur un plan éthique que juridique.

Une violation du secret professionnel médical

Ce secret professionnel est protégé par le code de santé publique (article L1110-4[1]) et par le code pénal (article 226-13[2]).

La notion de secret médical recouvre l’ensemble des informations portées à la connaissance du professionnel de santé, en ce compris les diagnostics, les dossiers ou les déclarations d’un malade.

La diffusion publique de ces clichés radiographiques, sans le consentement de leur propriétaire, constitue donc une violation du secret professionnel auquel est astreint le chirurgien. Martin Hirsch, directeur-général de l’AP-HP, ne manque d’ailleurs pas de souligner, dans un tweet du 22 janvier 2022 reprenant un message qu’il a adressé à l’ensemble de l’AP-HP, un « acte contraire à la déontologie, qui met en cause le secret médical, va à l’encontre de l’AP-HP et du service public ».

Une marchandisation du corps humain portant atteinte à la dignité humaine

Le professionnel de santé, dans un texte de présentation de son « produit » sur le site de vente aux enchères, précisait les circonstances dans lesquelles il s’est trouvé en possession de la radio :

« 41 (victimes) ont été adressés à notre centre, l’Hôpital européen universitaire Georges-Pompidou, et 22 nécessitant une intervention chirurgicale ont été hospitalisés. […) Du 14 novembre à 0h41 au 15 novembre à 1h10, 23 interventions chirurgicales ont été réalisées sur 22 blessés. Parmi ces patients, j’ai personnellement opéré 5 femmes, dont ce cas. Cette jeune patiente, qui a perdu son petit ami dans cette attaque, avait une fracture ouverte de l’avant-bras gauche avec une balle restante de Kalachnikov dans les tissus mous. »

Ce texte, visant à justifier que la radiographie provient d’une victime des attentats du 13 novembre, démontre la démarche mercantile de son auteur et une certaine recherche de sensationnalisme.

Pourtant, l’un des principes matriciels gouvernant le respect de la dignité de la personne humaine est celui de la non-patrimonialité du corps humain. Aussi le corps humain est-il frappé, en droit français, d’une indisponibilité à titre onéreux, posée par les articles 16-1 alinéa 3[3], 16-5[4] et 16-6[5] du code civil.

La mise en vente de cette radiographie porte donc atteinte à ces règles fondatrices.

Dans son tweet, Martin Hirsch dénonce un « comportement indigne », qui « prend une résonnance d’autant plus abjecte dans le contexte du procès en cours et de ce qu’ont enduré les victimes de ces attentats ». En effet, les victimes d’actes de terrorisme ont bien souvent des blessures plus profondes que celles visibles sur une simple radio.

Un acte isolé

Bien que condamnable, cet acte demeure un cas isolé, qui ne doit en rien entacher la qualité de l’action de l’AP-HP, extrêmement mobilisée lors des attentats, et la reconnaissance envers le corps médical. Comme le rappelle Martin Hirsch sur Twitter : « Un tel comportement odieux ne saurait salir une communauté hospitalière qui ne peut que se désolidariser de cet acte, le condamner avec la plus extrême fermeté et nous actionnerons toutes les voies de droit permettant d’en tirer les conséquences ».

Ainsi, il a annoncé saisir le Conseil de l’Ordre des Médecins. Il a également fait un signalement à la justice, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale [qui oblige toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, d’en informer sans délai le procureur de la République]. Enfin, il a déclaré saisir les ministres disposant d’un pouvoir disciplinaire.

De son côté, le chirurgien aurait, après avoir pris le sujet sur le ton de l’humour en expliquant « [qu’il] n’avait pas vendu cette image », et « [n’était d’ailleurs] pas sûr de la vendre », aurait reconnu « une erreur ».

Sources :

[1] Art. L1110-4 CSP : « I.- Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d’exercice ou les activités sont régies par le présent code (…) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.

Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel (…). Il s’impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. »

[2] Art. 226-13 C. pén. : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

[3] Art. 16-1 alinéa 3 C. civ. : « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

[4] Art. 16-5 C. civ. : « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ».

[5] Art. 16-6 C. civ. : « aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments de son corps ou la collecte de produits de celui-ci ».

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