Guadeloupe si loin, si proche

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Depuis 2018, le projet « Et si on écoutait les victimes ? Et si on écoutait les lycéens ? » s’est déployé dans dix académies, celles de Paris, Crétail, Versailles, Nice, Toulouse, Grenoble, Lille, Rennes, Clermont-Ferrand, et Nantes, et a obtenu l’agrément des académies de Paris et de Nice.

Cette année, nous sommes allés plus loin, dans une académie outre-Atlantique, celle de Guadeloupe.  En quelques mots : toute distance a été abolie.

 

Voir la vidéo réalisée par Julien Dalle

 

Des victimes antillaises et une avocate guadeloupéenne

Les procès qui ont eu lieu à Paris devant la Cour d’Assises spécialement composée pour les attentats de mars 2012 à Toulouse et Montauban, de Janvier et de novembre 2015 à Paris et pour celui du 14 juillet 2016 à Nice ont montré que parmi les victimes on comptait des personnes originaires de Guadeloupe ou Martinqiue : Loïc Liber (Guadeloupe) a été grièvement blessé à Montauban en mars 2012 ; Clarissa Jean-Philippe (Martinique) à Montrouge en janvier 2015, Jean-Jacques Kirchheim (Guadeloupe) au Bataclan le 13 novembre 2015, et Ludivine et Ludovic, deux Guadeloupéens, à Nice le 14 juillet 2016, ont été assassinés ; le journaliste d’origine martiniquaise Olivier Dubois, libéré en mars 2023, a été otage d’Aqmi 711 jours au Mali.

C’est au procès en première instance de l’attentat du 14 juillet 2016, alors que nous accompagnons une classe de Première du lycée Roger Verlomme de Paris à une audience, que nous assistons à la plaidoirie sur l’oubli de Maître Pascale Edwige.

Via la messagerie de Twitter, je lui adresse un message ; je souligne l’audace de la figure de style hypotypose, et l’incroyable litanie des noms des victimes de tous les attentats depuis 2012 :

 

 

Impressionnée par cette plaidoirie qui crée une scène vivante de fête nationale et redonne vie à Jonathan Sandler comme à Samuel Paty, à Imad Ibn Ziatem comme à Jessica Schneider, à Cabu comme à Yohan Cohen, je n’ai pas vu que l’avocate était une chabine et je n’ai pas entendu la pointe d’accent guadeloupéen que je connais si bien pourtant.

C’est grâce à elle que je trouve, quelques jours plus tard, la force de proposer que nos actions éducatives franchissent l’Atlantique pour rencontrer des professeurs et des lycéens en Guadeloupe. Nous travaillerons ensemble sur la Justice et nous aborderons la question de l’éloignement et celle de la proximité : pourquoi, lorsqu’on est loin géographiquement, sommes-nous a priori moins sensibles ? Pourquoi néanmoins sommes-nous concernés ? Pourquoi, en matière terroriste, la Justice est-elle concentrée à Paris, que les faits se soient produits à Nice, Trèbes ou Strasbourg ?

Trois projets dans trois lycées seront mis en place.

 

Distance temporelle et surtout proximité spatiale et affective

On aborde tout d’abord la distance spatiale et temporelle avec les attentats de Toulouse et Montauban de mars 2012 pour rendre immédiatement évidente une proximité à la fois géographique et affective avec le seul survivant, Loïc Liber. Nous apprenons par le Proviseur adjoint du lycée de Pointe-Noire, Monsieur Yannis Christon, le jour de notre préparation avec les lycéens, que Loïc Liber est un ancien élève du lycée. Nous en sommes bouleversés.

Or, grâce à l’association Le Canal de vie et à son Président, Kiki Bermont, Loïc Liber a adressé un message aux lycéens, que nous leur faisons entendre le jour de la rencontre avec les témoins : il les incite à s’engager contre toute forme de violence, il leur dit très clairement que la violence impacte évidemment la victime qui en souffre directement mais aussi l’ensemble de sa famille. Les lycéens reçoivent avec une très grande émotion ces mots et se sentent dépositaires de la mission d’œuvrer pour un monde moins conflictuel, moins violent, et tourné vers le dialogue et la réflexion.

On aborde aussi la proximité géographique et la distance temporelle des « Nuits bleues de l’indépendance » des années 80 en Guadeloupe, et l’équilibre à tenir n’est pas simple : quand on connaît l’histoire de la Guadeloupe on sait combien les attentats des années 80 ont été perçus comme une revanche légitime du massacre répressif de Mé 67, très ancré dans les mémoires et dans la mémoire collective. Il ne s’agit donc pas pour nous de nous opposer à ce que porte la mémoire collective, mais seulement d’amener à réfléchir aux conséquences du terrorisme et à la vanité de ses prétentions. Ce n’est pas le terrorisme qui a réparé les injustices et les graves blessures de Mé 67, pas plus que celles de l’esclavage, mais des lois et les valeurs qui exigent la reconnaissance des préjudices, l’égalité et la fraternité. Le sujet est passionnant, les lycéens aussi.

 

Programmes scolaires

Au lycée Le Jardin d’Essai, avec deux classes de la spécialité HGGSP, on est au cœur du thème Histoire et mémoires et les lycéens, avec leurs professeurs, ont travaillé sur les événements de Mé 67 et sur le rapport de la commission Stora rendu en 2017, sur les cycles mémoriels : ils savent que les Mémoires sont plurielles et subjectives en fonction des lieux (différentes donc en Guadeloupe et en  France hexagonale), partiales en fonction de l’engagement politique, et partielles (on passe du déni à l’amnésie, puis à l’anamnèse, enfin à l’hypermnésie). On a le projet de leur montrer que l’exercice de la Justice, à travers le procès des attentats du 13 novembre 2015, propose une mémoire des événements et est une manifestation de notre État démocratique, et de leur faire entendre la voix de deux survivants, Catherine Bertrand et Jean-Claude Parent.

 

Dans les deux autres lycées, le témoignage de Catherine et JC répondra à d’autres problématiques.

Au lycée Baimbridge, c’est avec une classe préparatoire aux concours aux Grandes Ecoles (CPGE) que nous travaillons. Ces étudiants, dès l’année suivante, intégreront des écoles d’enseignement supérieur en hexagone, ils quitteront le cocon que leur offrent leur lycée et son internat et le risque terroriste éventuellement les effraie et toujours les interroge. Le thème au programme de Culture Générale est la violence. Les violences en général ont à voir avec l’irrationalité et le désordre (psychique, social, …) et se passent volontiers de mots : elles sont difficiles à dire, à confier, à raconter. Avec leur professeur, la classe a préalablement étudié les violences intra-familiales, les violences scolaires, les violences policières et avec nous elle réfléchira aux violences que signifie et que produit le terrorisme. En ce qui concerne les violences terroristes, nous disposons de deux types de paroles ou de récit pour passer de l’irrationalité à la rationalité : les témoignages des victimes et des primo intervenants et la réponse judiciaire, c’est-à-dire celle de la Justice, qui est l’expression de l’État de droit et de la démocratie. Lutter contre la violence, c’est faire acte de raison et de parole.

Enfin, au lycée de Pointe-Noire, nous intervenons avec un groupe de lycéens de Terminale issus de deux ateliers de réflexion, l’atelier Philosophie et l’atelier Sciences-Politiques. Certains lycéens suivent par ailleurs la spécialité SES.  Notre perspective est donc avec eux historique, mémorielle et conceptuelle : nous prenons le projet au pied de la lettre et examinons les distances temporelle et géographique ; nous partons « de l’intérieur » et donc des années 80 en Guadeloupe, nous abordons une mémoire collective forte mais encore peu interrogée et élargissons au terrorisme contemporain en hexagone. Dans La Critique de la raison pure (1781), Kant posait trois problématiques majeures de la philosophie : « Que puis-je savoir ? », interrogation à laquelle répond, selon lui, la métaphysique ; « Que dois-je faire ? », qui relève de la morale ; et « Que m’est-il permis d’espérer ? » qui touche un domaine plus intime et personnel.

Nous préparons pendant la première semaine les lycéens ; la deuxième semaine, ils accueillent Catherine et JC, tous deux survivants du Bataclan.

 

Dialogue

Paris est donc loin (8750 kilomètres) et nos lycéens avaient entre 8 et 11 ans en 2015, pourtant chacun d’entre eux se sent concerné et écoute avec attention les témoignages de Catherine Bertrand et de JC Parent. Les échanges durent longtemps, ils sont profonds et très divers.

Au lycée de Pointe-Noire, le scénariste Julien Dalle nous fait l’honneur de venir. Il évoque la force de Loïc Liber, si loin et depuis douze ans à l’hôpital des Invalides qui parvient pourtant à inspirer des projets humanitaires et sportifs, et si proche puisqu’il est un ancien élève du lycée, et il guide des étudiants de BTS audiovisuel dans leur captation de la rencontre, pour produire ensuite le reportage que l’on peut voir ici : Si loin, si proche- actions éducatives de l’AfVT en Guadeloupe 

Il n’y a aucune distance entre les témoins et les élèves, ils se parlent et se comprennent, Catherine et JC répondent à une multitude de questions et de réflexions. Catherine dessine et représente la Guadeloupe sous la forme d’un papillon en lutte avec son fameux boulet, et c’est bien entendu la vie et la fraternité qui sont célébrées.

 

Couverture médiatique

Pendant ces deux semaines en Guadeloupe, nous participons deux mercredis de suite à l’émission Bikalavi animée par la célèbre Judith sur RCI, recevons dans les classes des équipes de Guadeloupe la 1ère et de France-Antilles.

GUADELOUPE LA 1ère radio, lundi 22 janvier 

BIKALAVI du 24 janvier avec Judith sur RCI, émission de radio, avec Pascale EDWIGE, Chantal ANGLADE et Fabienne KIRCHHEIM, sœur de Jean-Jacques, assassiné au Bataclan, et diffusion du message audio de Loïc LIBER

BIKALAVI du 31 janvier avec Judith sur RCI, émission de radio, avec Catherine BERTRAND, Jean-Claude PARENT, Pascale EDWIGE et Chantal ANGLADE

 

GUADELOUPE LA 1ère – voir le reportage TV sur le Lycée Baimbridge, le 30 janvier 

Lire l’article et voir les interviews 

 

 

FRANCE- ANTILLES :

Le 08 février 2024 : Article sur le lycée Le Jardin d’Essai

Week-end du 09 au 11 février 2024 : Article sur le lycée de Pointe-Noire

 

Merci

À Loïc Liber, et avec lui à Kiki Bermont

À nos témoins, Catherine Bertrand et JC Parent

À Maître Pascale Edwige

À Yannis Christon, Proviseur adjoint du lycée de Pointe-Noire

À Falk Van Gaver, Elodie Mamie, Franciane Bégarin, Jean-Luc Vilus, professeurs au lycée de Pointe Noire

À Josée-Lise Bélair, Proviseure du lycée Le Jardin d’Essai

À Marie-Ange Agneray, Jonathan Fieschi et Fabrice Halle, professeurs au lycée Le Jardin d’Essai

À Jean Darton, Proviseur du lycée Baimbridge

À Pascal Claman et Isabelle Quinton-Othily, professeurs au lycée Baimbridge

ÀJulien Dalle

À Judith de Bikalavi

À Yolande Elizer et Ann-Lee, journalistes à France-Antilles

À Josiane Champion, Ludivine Guiollet, Jean-Charles Théobald, journalistes à Guadeloupe la 1ère

 

 

 

Par Chantal Anglade, professeure de Lettres, responsable du pôle éducatif de l’AfVT

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