Question d’élève : « Pourquoi ne peut-on pas rencontrer un terroriste ? »

AfVT17min0
Image1.jpg

 

 

Il existe à Grenoble, au lycée des Métiers Georges Guynemer, un dispositif éducatif unique en France : la classe STARTER (le documentaire Un bon début suit pendant un an le quotidien des élèves et des professeurs de la classe STARTER). Chaque année depuis 13 ans, Antoine Gentil accueille dans sa classe des enfants en situation de détresse psycho-socio-scolaire afin de les aider à définir un projet d’avenir, eux qui pour de multiples raisons auraient pu rester à la marge de tout système, abandonnés. C’est dans cette classe de la dernière chance qu’a choisi d’intervenir pour la troisième année consécutive l’Association française des Victimes du Terrorisme afin d’établir un dialogue et d’instaurer un espace de confiance et de compréhension entre victimes, entre témoins du terrorisme et décrocheurs. Particularité de cette rencontre : la quinzaine d’élèves STARTER est accompagnée sur ce projet par une classe de seconde professionnelle – Métiers de la sécurité. Et derrière le précipice d’idées qui semble séparer les deux groupes, la rencontre rassemble et crée l’union, elle favorise une compréhension et une entente mutuelle autour de thèmes essentiels à la construction de toute individualité : l’amour, la résilience, le rapport à l’autre et la fraternité.

Par Martin CLAVEL, étudiant en Licence 3 au CELSA Sorbonne Université, parcours Le Magistère.

 

 

« Qu’est-ce qu’on va faire ensemble ? »

Comme avant chaque rencontre, une séance de préparation précède les témoignages. Elle permet d’éclairer les consciences, de faire rempart à tout sensationnalisme et d’éviter tout contresens en répondant aux premières interrogations. Et elles sont nombreuses, ces questions, des plus surprenantes aux plus fondamentales : « Qu’est-ce qu’on va faire ensemble ? » ; « Pourquoi se sont-ils [les terroristes] fait exploser ? » ; « Pourquoi ne peut-on pas rencontrer un terroriste ? ». A cette dernière question, nous répondons que c’est bien parce que les terroristes sont plus « connus » et médiatisés que leurs victimes que nous proposons d’unir nos réflexions à celles des victimes, survivantes ou endeuillées, qui nous ramèneront vers une humanité ordinaire et seules sauront nous dire les conséquences du terrorisme.

Les prises de parole fusent, à coups de « wesh » et de « zguegs », et si certaines surprennent, d’autres sont les signes bouleversants d’enfances déchiquetées par la violence, la misère et l’abandon, comme cette remarque d’un des élèves d’Antoine Gentil, concernant les moyens de lutter contre le terrorisme :

« Rien, si on peut acheter une arme, on peut tuer. On ne peut rien faire, il y aura toujours des armes et des terroristes. On achète des armes à Grenoble comme du pain dans une boulangerie à Paris. »

Difficile aussi pour ces enfants de comprendre la réponse démocratique que peut apporter la justice contre la vengeance, quand ceux-ci ont grandi dans la violence et le grand banditisme, entouré par les services sociaux et la Protection judiciaire de la jeunesse et, pour certains, loin de leurs parents incarcérés ou dépossédés de leurs droits parentaux.

Comment expliquer alors la position de Aurélie Silvestre et Sébastien Michellet, deux victimes du 13 novembre 2015 qui ont tous deux refusé la haine pour la justice et la démocratie ? Patience, dès demain, les élèves leur feront face, une occasion unique pour partager un moment d’échange et tenter d’avancer ensemble, dans la même direction.

 

« On ne réfléchit pas, on ne réfléchit plus ; c’est de l’instinct de survie » (Sébastien Michellet)

 

Le lendemain matin, Chantal Anglade est accompagnée de ses deux témoins. Le moment est venu pour les élèves d’entendre leur témoignage.

Aurélie Sylvestre entame son récit : le 13 novembre 2015, elle a perdu son compagnon au Bataclan.

« Je vivais avec un homme depuis plus de 10 ans dans le 10è arrondissement de Paris. On avait un petit garçon, on attendait une fille. C’était une belle journée. Tout a changé depuis. »

Ce soir-là, les Eagles of Death Metal se produisent au Bataclan. Elle préfère ne pas franchir les portes de la salle de concert. C’est une amie qui lui apprend la série d’attentats en cours à Paris.

« C’est le feu dans Paris, ça tire de partout. »

Son fils est couché. Matthieu est au Bataclan. Elle est seule devant sa télé quand le bandeau s’affiche sur l’écran : Prise d’otage au Bataclan.

« Je vais apprendre la mort de Matthieu 24 heures après son départ pour le concert. Et à partir de là, le monde s’écroule. Tout ce que j’avais construit me semble tomber d’un coup. Je dois annoncer à mon fils que son père est mort et je vais devoir accoucher sans celui que j’aime. »

Elle raconte la sidération, le choc, le procès, et puis la vie qui doit continuer, pour elle, pour son fils, pour sa fille. Elle termine :

« Et puis j’ai donné naissance à ma fille qui a maintenant 9 ans. Merci, je suis là autant pour vous que vous êtes là pour moi. »

 

Sébastien Michellet et Aurélie Silvestre témoignent devant les élèves

 

C’est au tour de Sébastien Michellet de prendre la parole : lui et sa femme étaient dans le Bataclan le soir du 13 novembre.

« Je suis papa de 5 enfants et gros consommateur de concerts. Ce week-end là, on devait en faire trois, et puis on est allé là où il ne fallait pas. On était là tôt, pour une fois.

21h46, ça part sous forme de pétards. On ne réfléchit pas, on ne réfléchit plus : c’est de l’instinct de survie. Et l’instinct de survie va durer pendant trois heures. (…) J’ai pris ma compagne et je me suis jeté par terre. À un moment donné, je me lève, je ne sais pas pourquoi, je me dis c’est maintenant ou jamais. (…) On se retrouve caché des terroristes dans une pièce de 10m2. On doit y être 40. On entend des gémissements. On entend des cris.

Et puis je vais rentrer en relation par sms avec un centre de commandement posté à l’extérieur du Bataclan. C’est cette personne qui va me permettre de tenir. Elle va sentir quand je panique. Elle va sentir que je me calme. Et elle va réussir à réguler tout ça pour maintenir le calme dans la pièce. J’avais un rôle de boîte postale, ou du moins de référent pour les autres.

On est rentré à 5h00 du matin. Là, on se dit ça va, on est bien, on est parti à deux, on est rentré à deux. Et puis le lendemain c’est compliqué. On était blessé dans l’âme. J’étais non-stop à me renseigner sur tout, les chargeurs, les types de balle, … Avec le temps, on se pose toujours plein de questions. Mais on s’aperçoit aussi qu’avec le temps, toutes ces questions restent très largement sans réponses.

Maintenant, on est bien, ou assez bien pour venir vous voir. (…) Le 14 novembre 2015, j’ai demandé la main de ma compagne. On s’est marié l’année d’après.»

Deux témoignages très émouvants qui laissent place à une multitude de questions de la part des élèves. Les futurs professionnels de la sécurité se questionnent sur l’identité du contact qui a permis de sauver Sébastien Michellet et des dizaines d’autres personnes. Qui est ce « fil d’Arianne » qui a su garder son calme et son sérieux pour maîtriser une situation des plus périlleuses ?

Les élèves de la classe STARTER tentent eux de comprendre la réponse démocratique que peut apporter la justice face à la vengeance. A leurs questions et interventions, nous constatons qu’ils connaissent déjà la majorité des procédures judiciaires, qu’ils sont habitués aux visites en prison, à la police et aux tribunaux. Et pour ces jeunes, les questions posées aux témoins sont aussi des interrogations posées à eux même : comment fait-on pour grandir sans son père ? Doit-on ressentir de la haine ? Arrive-t-on à être heureux après cela ? Est-il possible de se reconstruire après avoir vécu l’horreur ? Et face à la haine qui peut jaillir au contact des autres, quelle meilleure réponse que celle d’Aurélie Silvestre :

« Moi, je n’ai pas ressenti de colère non plus. C’est un choix que j’ai fait, pour moi et pour mes enfants. Céder à la colère, c’est les laisser gagner. Je pense qu’une vie chouette, c’est sans la violence. Au début du procès, j’ai eu peur. Et puis il y a eu des regards, des rires même avec les accusés. Et déconstruire l’image du monstre, c’est aussi ce que je recherche, c’est un apaisement qui me fait du bien. »

 

 

Derniers échanges et au revoir entre les élèves et les témoins 

 

À l’heure où nous publions cet article, les lycées sont fermés et les élèves et professeurs en vacances. Mais Antoine Gentil nous a écrit pour nous dire que l’année scolaire a été bénéfique aux élèves de la Classe STARTER qui tous ont eu une orientation et tous un diplôme (le CFG et quelquefois le brevet série professionnelle) : « une année Starter s’achève, la treizième. Encore une fois, nous avons déployé, cette année scolaire, une pédagogie de la rencontre et de l’expression de soi qui ne pourrait pas se faire sans vos engagements respectifs qui propagent tous des ondes de choc douces et singulières chez les adolescent.e.s vulnérables que nous accueillons. Construire une école de la dignité, de la reconnaissance des individualités, passe par là ! »

Nous sommes profondément heureux de faire partie des « ondes de choc douces » qui réparent aussi bien les victimes de terrorisme que les élèves vulnérables. Nous sommes persuadés que la rencontre avec Aurélie et Sébastien a renforcé l’humanité de ces élèves qui, si jeunes, font face à des réalités dures.
Pourquoi ne peut-on pas rencontrer un terroriste ? demandait l’un d’eux. Parce que nous leur avons proposé de voir l’autre côté du miroir et qu’ils y ont trouvé une force qu’ils n’attendaient pas.

 

Pour aller plus loin : Le documentaire Un bon début qui suit pendant un an le quotidien des élèves et des professeurs de la classe STARTER.

 

MERCI,

Aux élèves de la classe STARTER et aux élèves de bac Pro de la Sécurité,

À leurs professeurs : Nadia Touati, Véronique Eugène, Cécile Robin, Antoine Gentil, Saïd Araba,

Aux témoins Sébastien Michellet et Aurélie Silvestre

Etiquettes : Lycée des métiers Georges Guynemer, Aurélie Silvestre, transmission de la mémoire, Dispositif STARTER, 13 Novembre 2015, Sébastien Michellet, Bataclan.

Laissez un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *