
L’AfVT est intervenue, mardi 16 septembre 2025, dans une classe de 2nde du lycée Van Gogh d’Ermont afin d’évoquer le thème de la peine de mort, dans le contexte particulier des actes terroristes. Cet échange s’est poursuivi par la rencontre et le témoignage de deux victimes-témoins du Bataclan.
Par Murielle Dassonville et Tanguy Coz
Première étape : le travail en classe
La citation de Robert Badinter « Utiliser contre les terroristes la peine de mort, c’est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers » a permis de lancer le débat, puisqu’en ce début d’année scolaire se tient à Paris le procès de trois « revenantes » de Syrie ayant participé à l’EI. On a ainsi présenté et expliqué le fonctionnement de la cour d’assise, spécialement composée et le contexte.
Les élèves ont travaillé en classe sur le traitement médiatique de ce procès ainsi que l’argumentation à partir de textes qui abordent la peine de mort tels que : Le dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, L’étranger d’Albert Camus et des extraits du discours de Robert Badinter du 17 septembre 1981 prononcé devant les députés de l’Assemblée nationale.
« Être pour la peine de mort, c’est épouser les valeurs des terroristes », a conclu Alvin, élève de seconde au lycée Van Gogh.
Deuxième étape : une sortie au tribunal
Les élèves ont assisté à plusieurs audiences au Palais de Justice de Paris. Cette visite leur a permis de découvrir le fonctionnement de la Justice, la composition de différentes juridictions, ainsi que de voir le déroulement concret des procès.
Troisième étape : la rencontre avec les témoins
Enfin, le mardi 24 septembre 2025, les élèves ont rencontré des témoins, victimes des attentats du 13 novembre, au Bataclan : Georges Salines et Bruno Poncet. Tous deux rejettent la peine de mort comme réponse aux actes d’attentat.
En novembre 2015, ces élèves avaient cinq ou six ans. Ils se souviennent davantage de l’inquiétude de leurs parents que des évènements. Ils ont grandi dans une société confrontée à la menace terroriste.
Je trouve que ma vie d’après est plus belle que ma vie d’avant malgré les épreuves de l’attentat. Je la vis plus intensément, elle a meilleur goût : le goût de la vie.
Les élèves s’interrogent et interrogent les témoins. Face à ces assassinats de masse, quelles peuvent être les réponses des victimes ?
Sami : « La peine de mort peut-elle servir comme valeur d’exemple » ?
Bruno Poncet y répond par un livre La joie comme vengeance (ed. Michel Laffont 2022) : « Après l’attentat, j’ai été élu délégué syndical et j’ai exercé ce mandat pendant 6 ans. En fait, pendant ce temps, je m’occupe des autres mais pas de moi. Un soir, je vais voir une pièce de théâtre avec un ami dont le titre est Vous n’aurez pas ma haine. C’est l’histoire d’un homme qui perd sa femme dans un attentat et qui explique qu’il continue à vivre sans haïr. Mon ami me propose alors de m’aider, pendant la période du covid, à rédiger un livre. Il arrive à trouver un éditeur et le titre est La joie comme vengeance. Je veux faire passer le message que, malgré les coups durs que j’ai rencontrés dans ma vie – j’ai perdu mon père à 8 ans, j’ai eu un grave accident de moto à 20 ans et j’ai failli perdre ma jambe -, quoi qu’il arrive dans la vie, il y a toujours, après, la joie, la lumière, le bonheur. Je voulais écrire un livre lumineux avec de l’optimisme, pas un livre larmoyant. En fait, je trouve que ma vie d’après est plus belle que ma vie d’avant malgré les épreuves de l’attentat. Je la vis plus intensément, elle a meilleur goût : le goût de la vie.»
Georges Salines : « J’ai eu un sentiment de tristesse très fort après la perte de ma fille mais aussi de gâchis, d’absurdité. Qui sont ces types qui tuent des gens de leur âge ? La haine, je ne l’ai jamais éprouvée. »
Une cour d’assises spéciale créée pour un procès hors norme

Gladys : « Le procès – du 13 novembre – a duré combien de temps ? »
Bruno : « 10 mois. »
Georges : « Oui, de septembre 2020 à juin 2021. »
Bruno : « C’est long. »
Georges : « Ça a été très long. Le plus long procès en France. »
Margaux : « Vu que les trois terroristes sont morts, c’est un procès contre qui ? »
Georges : « Les attaques du 13 novembre ont été perpétrées par une cellule, des gens envoyés par l’Etat islamique. Parmi eux, se trouvent les frères Clain, ceux qui ont revendiqué les attentats. Il y avait 14 autres accusés poursuivis pour association de malfaiteur terroriste : ils ont fait partie de la cellule et certains ont été condamnés pour complicité. »
Je le dis assez facilement : je trouve qu’on est dans un beau pays, qui permet d’avoir de la vraie justice.
Alvin : « Après avoir assisté à ce procès, est-ce que vous avez assisté à d’autres procès, ou seulement à celui-là ? »
Bruno : « J’ai été seulement à ce procès-là, mais ça m’a appris beaucoup sur la justice. C’était très intéressant. Je connais un peu mieux son fonctionnement. Vous avez l
a chance d’aller dans des tribunaux, c’est vraiment bien parce que sinon, le fonctionnement de la justice, on ne le comprend pas. Quand on la voit, on se rend compte que c’est quelque chose d’extraordinaire. Et je le dis assez facilement : je trouve qu’on est dans un beau pays, qui permet d’avoir de la vraie justice. »
L’après et la reconstruction
Rihab : « Est-ce qu’à l’heure actuelle vous êtes traumatisés et est-ce que vous y pensez encore ? »
Georges : « Très rapidement après l’attentat, j’ai voulu réagir : je voulais beaucoup me consacrer à des activités pédagogiques, à des interventions que je juge indispensables. Par exemple, j’ai rencontré des mères de jeunes qui sont partis faire le djihad en Syrie et certaines sont devenues des amies aujourd’hui. Le départ de leurs enfants avait été un choc, même si elles ont vu les choses venir. Elles étaient dans une souffrance considérable, leurs enfants étaient morts ou bien en prison. Elles ont eu un sentiment de culpabilité car elles ne savaient pas quoi faire. Personne n’était là pour les aider. On peut comprendre qu’elles n’ont pas
cessé d’aimer leur enfant.
Cela m’a préparé à répondre positivement à la rencontre avec un des pères des terroristes, Azdyne Amimour. De cette rencontre est né un livre, qui est sorti en 2020, Il nous reste les mots. J’ai pu aller en prison et rencontré des djihadistes, des personnes qui étaient détenues pour des faits liés au terrorisme islamiste. Aujourd’hui, j’ai une idée je crois, assez claire de comment on devient djihadiste et pourquoi. »
Bruno : « La semaine qui suit l’attentat, je n’arrive pas à dormir et les mois d’après non plus. Je m’épuise. On me dit qu’il y aura un procès, on me conseille de voir un psy, mais je me dis que je ne suis pas malade. Comme je ne dors pas, j’ai l’impression de tout voir en noir. C’est comme ça pendant de longs mois. Au mois de mars, je vois des alertes sur mon téléphone au sujet d’un attentat en Belgique. J’ai l’impression que ça ne va jamais s’arrêter, et j’ai peur. Je me disais que j’étais sorti vivant, que tout allait bien, mais là je deviens victime d’attentat. Heureusement que j’avais des rendez-vous chez le psy, sinon je ne serais jamais sorti de chez moi.
En septembre, le procès commence ; je ne me suis pas tenu au courant des avancées de l’enquête. Sur les conseils de mon avocate, je me rends au procès. Je me dis que je vais peut-être apprendre des choses, comprendre comment des jeunes hommes nés en France, qui ont reçu la même éducation que moi, que vous, ont vrillé. Et je vais avoir quelques débuts de réponse. Je rencontre aussi des victimes qui comme moi ont choisi la lumière et j’ai le sentiment de faire partie de l’Histoire. A la barre, j’ai déposé mon récit, mon histoire, je suis sorti plus léger. Je considère que je ne suis plus une victime. Être victime, ce n’est pas un métier, une fonction. Mon métier c’est être cheminot. Je continue à vivre. Je pense tous les jours aux victimes et cela me donne de l’énergie. »
Naël : « Est-ce que ça vous arrive de faire des cauchemars ? »
Bruno : « On est en plein dans la bonne période… c’est-à-dire… le 13 novembre c’est dans un mois, un mois et demi. Depuis début septembre, mon sommeil déjà n’est pas bon et là, ça ne s’arrange pas. Je me réveille la nuit et des fois je ne me rendors pas. Je ne fais pas des cauchemars avec des images de ce que j’ai vu ou entendu le 13 novembre, mais je rêve qu’une personne est à côté et qu’elle meure. »
Georges : « Moi, je suis médecin de formation et je connais le syndrome de post-traumatique. Les témoignages des survivants pendant le procès m’ont permis de mesurer l’ampleur de leur souffrance. »
Yahyah : « Est-ce que vous avez été indemnisés ou est-ce que vous avez demandé à être indemnisés ? »
Bruno : « On m’a donné plusieurs milliers d’euros. Et je les ai dépensés très vite. Pour moi, cet argent était sale. Je ne comprenais pas que, moi, vivant, ce qui est déjà une très grande richesse, on me donne de l’argent. Ils m’ont expliqué qu’on compense ainsi ce que j’ai perdu, et c’est vrai, j’ai perdu beaucoup de choses… mais je n’ai pas gardé cet argent-là. Cet argent m’a blessé. Je trouvais ça bizarre de toucher des sous. »

Les deux témoins ont eu des parcours différents. Leur vécu l’est également, mais tous deux se sont tournés et engagés dans la justice restaurative. Comprendre, ce n’est certainement pas justifier cette violence, c’est surtout apprendre à la rejeter.
Avant la rencontre, lors de la séance de préparation, les élèves avaient déjà perçu comme Emeraude que : « la meilleure façon de se venger, c’est d’être heureux après un traumatisme ».
Emily se demande, à propos du fils d’un ami de Bruno, présent au Bataclan et qui avait 10 ans, « qu’est-ce qu’il est devenu ? »
Bruno répond : « Maintenant, il fait plus d’1m80, il est plus grand que moi, il a 20 ans. Le lundi, mon ami a demandé à son fils ce qu’il voulait faire. Il a répondu qu’il voulait aller à l’école. Pour lui, les évènements étaient moins dans sa vie quotidienne, ils ne regardaient pas trop les infos. Il a repris sa vie normalement. Il a avancé comme ça.
J’ai dit au tribunal que c’était « un petit garçon courageux et maintenant c’est un homme courageux. »
MERCI
À nos deux témoins, Bruno et Georges.
Aux élèves de 2nde 15 du lycée Van Gogh à Ermont.
À leurs professeures Charlotte Bré (Français), Adeline Autet (Histoire-Géographie), Anne Badou (SES).
À nos partenaires,





